Le film Esto es lo que hay célèbre le rap cubain de Los Aldeanos

Si la devise de Cuba est Patria o muerte, venceremos (la patrie ou la mort, nous vaincrons), la devise de Los Aldeanos, rappeurs cubains filmés par Léa Rinaldi dans Esto es lo que hay, pourrait être sans conteste Mùsica o muerte, venceremos. Bref, Hasta la mùsica siempre ! 4 étoiles : recommandé

 

esto es lo que haySorti le 2 septembre 2015, le film documentaire de la réalisatrice française Léa Rinaldi aura demandé prés de 6 années de tournage, d’images prises à la sauvette pour échapper à la police cubaine, sans oublier son cortège d’humiliations, d’interdits, de coups bas. Rien n’aura été épargné au groupe de hip-hop contestataire et jusqu’au bout le pouvoir en place lui aura fait sentir sa désapprobation. Le résultat est saisissant, ce film nous bouscule par son énergie, l’espoir qu’il véhicule à tout moment, mais surtout, le cri d’amour désespéré de jeunes Cubains pour leur terre, un cri profondément émouvant.

« Esto es lo que hay » est une expression typiquement latino-américaine. Cela signifie « voilà ce qu’il y a », mais aussi « on fait avec ce qu’on a ». Ce titre est une mise en abyme de la manière qu’a Los Aldeanos de créer et de composer avec leur réalité (Lea Rinaldi)

esto-es-lo-que-hay-lea-rinaldiDans la société cubaine, l’ordre établi n’est pas à remettre en question. Le dogme révolutionnaire rythme la vie quotidienne, pourtant l’idée même de révolution semble se déliter et prendre des visages bien différents, qu’on soit un apparatchik ou un membre anonyme du peuple. Nous sommes d’ailleurs toujours perplexes en constatant que la hiérarchie à structure pyramidale mise en place par un pouvoir au fonctionnement directement issu de la défunte Union soviétique, a créé une myriade de petits chefs hargneux qui se pensent gardiens dont ne sait quoi et interdisent tout, à défaut d’être sûrs que cela soit permis: la crainte de perdre sa place au soleil… À Cuba, lorsqu’on n’est pas dans la ligne du parti, on peut perdre sa maison et son travail et les CDR (Comités de Défense de la Révolution) de chaque quartier veillent à ce que la ligne du parti soit scrupuleusement respectée… On comprend ainsi les risques que prennent ces musiciens amoureux de leur île, mais aussi farouchement critiques envers l’État castriste.

Le groupe « LOS ALDEANOS » évolue dans un contexte des plus ambigus: musiciens plébiscités par les Cubains, adulés par la scène rap sud-américaine, ils sont l’objet d’une permanente surveillance de pouvoirs publics inquiets. Menés par le charismatique Aldo Roberto Rodríguez Baquero (El Aldeano), assisté de Silvio Liam Rodriguez (Silvito el Libre) et de Bian Oscar Rodríguez Gala (El B), leur propos n’est pas de faire du Cuba bashing pur et dur, mais de crier leur tristesse de voir leur île dans une telle situation.

Los Aldeanos a la révolution dans le sang et se bat pour leurs droits au nom de la liberté du peuple cubain. Leurs armes sont d’abord les mots, ceux d’une poésie très inspirée et travaillée avec un phrasé au rythme rapide, d’où certaines difficultés pour le film à traduire la beauté et la force de leur message en français et en anglais.

los aldeanosC’est dans un climat difficile que chaque jour ils travaillent, créent de nouvelles chansons, enregistrent (23 albums en 7 ans), malgré la censure et les coupures d’électricité quotidiennes. Un soir, Aldo est invité secrètement par calle 13, groupe portoricain en concert à La Havane, mais il est maintenu à distance par la police. Lea Rinaldi, témoin directe de cette censure, décidera alors de filmer le combat de l’artiste.

L’ambiance du film est résolument dynamique, notamment grâce aux successifs passages de la musique aux épisodes du quotidien et si le montage paraît parfois un peu chaotique, c’est pour mieux traduire ce qui se passe dans la réalité.

Mais malgré toutes les épreuves de persécution, d’emprisonnement et bien qu’ils n’aient pour l’instant qu’une seule issue, la fuite vers l’étranger, ils restent fidèles à leur pays. En y revenant systématiquement à travers leurs mots, leur imagination et dans leurs retours constants à La Havane. « Je reviendrai, continuerai et mourrai à Cuba » hasta siempre !

C’est cela aussi qui donne un tel sentiment d’enthousiasme, de conviction, de loyauté. À titre personnel, j’apprécie peu le rap et les Maître Gims et autres Booba me semblent être à la musique ce que les chtis à Ibiza sont à la littérature du Siècle des Lumières, mais los Aldeanos m’ont embarqué dans leur monde, la qualité de leur musique, leur bouleversante authenticité, leur combat pour la liberté. Inutile donc d’être un amateur de rap pour apprécier ce film, à des milliers de kilomètres des clichés vendus par les agences de voyages…






Film documentaire Esto es lo que hay chronique d’une poésie cubaine Léa Rinaldi, sortie 2 septembre 2015, 1h40.

L’interview complète de Léa Rinaldi, ici

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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