Marco Mouly, l’illusionniste de la taxe carbone : retour sur le parcours d’un roi sans royaume

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marco mouly

Il se présente souvent avec un sourire trop large pour être honnête. Cravates brillantes, Rolex en vitrine, et verve de télé-réalité. Marco Mouly n’est pas seulement une silhouette médiatique – il incarne à lui seul l’une des plus grandes escroqueries financières du siècle. Ce mercredi 16 juillet 2025, l’Italie a officiellement remis à la France celui que la presse surnomme depuis des années le roi de l’arnaque. L’homme, âgé de 60 ans, avait été interpellé fin mars à Rome. Son extradition boucle une nouvelle boucle dans un interminable feuilleton judiciaire, où l’argent virtuel a laissé des dettes bien réelles : près de 283 millions d’euros dus à l’État français.

Débarqué ce mercredi à Roissy sous haute escorte, Marco Mouly, de son vrai nom Mardoché Mouly, est attendu pour purger une peine de trois ans de prison ferme prononcée en novembre 2024 par le tribunal correctionnel de Paris. Condamné pour « organisation frauduleuse d’insolvabilité », il n’était pas présent à l’audience. Dans cette affaire, il lui était notamment reproché d’avoir dissimulé ses revenus issus de contrats d’édition, minoré ses droits d’auteur et tenté d’échapper au fisc à travers une savante mécanique de sociétés-écrans. Mais ce jugement n’est que l’un des nombreux chapitres d’une saga judiciaire tentaculaire qui trouve ses racines dans le scandale dit de la « taxe carbone ».

Le casse du siècle : 1,6 milliard évaporé

La fraude à la taxe carbone est un système aussi simple que redoutable. En 2008-2009, l’Union européenne met en place un marché d’échange de quotas carbone dans le but de réguler les émissions de gaz à effet de serre. Dans ce marché, les transactions intra-européennes sont exonérées de TVA, mais la revente en France doit s’accompagner du reversement de cette TVA à l’État. C’est là que le génie du crime intervient.

Des dizaines de sociétés-écrans achètent des quotas dans un pays membre, les revendent immédiatement en France en incluant la TVA… qu’elles ne reversent jamais. Le temps que l’administration se réveille, les entreprises ont disparu. Résultat : 1,6 milliard d’euros envolés, dont des centaines de millions blanchis via des circuits offshore, et un écosystème d’escrocs flamboyants.

Une « bande du carbone » version Scorsese

Parmi les figures du réseau, Marco Mouly est peut-être la plus médiatique. Non pas pour son génie comptable, mais pour son sens du storytelling, sa gouaille de titi parisien et son besoin irrépressible de lumière. On l’a vu dans des dîners mondains, dans les soirées de footballeurs, en star d’Instagram, et même dans des interviews YouTube où il se met en scène, moitié repenti, moitié provocateur. Il adore raconter ses arnaques comme d’autres évoqueraient leurs exploits sportifs. Il a même fait l’objet d’un documentaire Netflix (en 2021), d’un projet de série, et d’une autobiographie vendue à plusieurs milliers d’exemplaires.

Pour autant, derrière le personnage flamboyant, c’est toute une mécanique de fraude industrielle qui s’est mise en place. Et Mouly n’était pas seul : Arnaud Mimran, Samy Souied, Cyril Astruc, et d’autres noms de la galaxie israélienne des financiers faussaires peuplent cette constellation trouble où l’on croise aussi bien des traders que des tueurs à gage.

Un homme traqué, une justice tenace

Condamné à plusieurs reprises en France, Marco Mouly avait pris ses distances avec l’Hexagone, multipliant les allers-retours entre Israël, l’Italie, la Suisse et Dubaï. Mais les autorités n’ont jamais lâché prise. Le mandat d’arrêt émis début 2025 par la justice française, en lien avec ses dettes fiscales et sa condamnation de 2024, a finalement permis son arrestation le 30 mars 2025 à Rome, à sa descente d’un vol international. La coopération judiciaire avec l’Italie a abouti à une remise officielle aux autorités françaises ce 16 juillet. Un avion affrété l’a transféré à Roissy où la PJ l’attendait. Il sera incarcéré sans délai pour purger sa peine – même si ses avocats pourraient déposer des recours en aménagement de peine ou libération conditionnelle.

Qu’est-ce qu’un escroc aujourd’hui ?

La figure de Marco Mouly pose une question troublante. Pourquoi fascine-t-il autant ? Peut-être parce qu’il incarne une forme de banditisme postmoderne, numérique, mondialisé, où l’arnaque n’est plus une violence visible, mais un jeu de miroirs où l’argent virtuel devient l’instrument d’un dérèglement généralisé.

Dans une époque où les limites entre légalité, optimisation fiscale et fraude sont de plus en plus poreuses, Mouly fascine, car il joue avec le système à ciel ouvert. Il vole l’État, donc « personne », diront certains. Il raconte ses exploits en détail, comme un Robin des Bois du CAC 40. Il transforme l’illégalité en produit culturel. Alors que c’est seulement un voleur narcissique de plus qui aime se mettre en scène.

Et pour les magistrats du pôle financier, l’affaire est claire : Marco Mouly doit à l’État 283 millions d’euros. Et il n’a ni l’intention ni les moyens – apparemment – de les rembourser. Sa mise sous écrou, ce 16 juillet, n’est donc pas la fin d’un film, mais un nouveau chapitre judiciaire, à suivre de près.

Les chiffres-clés de l’affaire Mouly

  • Montant total de la fraude à la taxe carbone en France : 1,6 milliard €
  • Dette fiscale estimée de Marco Mouly : 283 millions €
  • Peine prononcée en 2024 (en son absence) : 3 ans de prison ferme
  • Nombre d’affaires judiciaires le concernant : plus d’une dizaine
  • Date d’arrestation à Rome : 30 mars 2025
  • Date de remise à la France : 16 juillet 2025
Rocky Brokenbrain
Notoire pilier des comptoirs parisiens, telaviviens et new-yorkais, gaulliste d'extrême-gauche christo-païen tendance interplanétaire, Rocky Brokenbrain pratique avec assiduité une danse alambiquée et surnaturelle depuis son expulsion du ventre maternel sur une plage de Californie lors d'une free party. Zazou impénitent, il aime le rock'n roll dodécaphoniste, la guimauve à la vodka, les grands fauves amoureux et, entre deux transes, écrire à l'encre violette sur les romans, films, musiques et danses qu'il aime... ou pas.