Milena Agus possède un talent rare : celui de révéler le côté décalé et absurde que recèle chaque situation, aussi banale soit-elle. Et sous sa plume, la vie des trois comtesses sans le sou prend une saveur insoupçonnée. Avec son écriture franche et sensible, Milena Agus fait mouche et ferre son lecteur dès les premières pages avec une poésie qui n’est pas sans rappeler celle des romans de Carole Martinez, Véronique Ovaldé ou Laura Esquivel.
Si l’auteur saupoudre ses histoires d’un soupçon de magie, elle n’en distille pas moins une exquise causticité. Elle prend un malin plaisir à casser les codes d’une aristocratie qu’on imagine mâtinée de bienséance et de savoir-vivre. Elle nous entraîne dans un univers tendre et cocasse, entre Maddalena, la sœur érotomane dont les ardeurs sexuelles cachent mal sa souffrance de nullipare, Noémie, sérieuse et anxieuse, qui ne rêve que de rétablir la splendeur passée de sa noble famille, et la Comtesse de Ricotta, femme-enfant qui doit son surnom à sa sensibilité à fleur de peau et à sa fragile santé.
Les trois sœurs incarnent merveilleusement bien les différentes facettes qui cohabitent en chaque femme. Lorsque l’une des sœurs baisse les bras, elle puise ses ressources chez les deux autres qui se retrouvent à ses côtés pour l’aider à surmonter les aléas de la vie. On retrouve dans ce trio volcanique et attendrissant la richesse et la complexité qui caractérisent la gent féminine: en chaque femme cohabitent de multiples personnalités, opérant cette subtile alchimie qui leur permet d’affronter leur triathlon quotidien de working-girl, de mère et d’amante.
Les femmes de Milena Agus sont des amazones, certes un peu amochées et parfois bancales; mais tout de même de vaillants soldats qui bataillent pour préserver leur joie de vivre et leur optimisme. Ce roman d’une grande fraîcheur est une vraie réussite!
A conseiller si…
… la vie de château vous fait rêver. Quand une gargouille menace d’assommer un enfant en s’écroulant et qu’il faut entretenir les plates-bandes du jardin, tout en attendant désespérément le Prince Charmant, on se prend finalement à apprécier son statut de roturière…
Extraits :
Les comtesses ne sont pas à l’abri des chagrins d’amour….
Même mal fagotée, la comtesse a toujours des amoureux. Sauf qu’on a à peine le temps de faire leur connaissance qu’on la retrouve déjà en boule au fond de son lit, à pleurer. Salvatore et Maddalena, et maintenant aussi la gouvernante, viennent s’asseoir près d’elle, avec Carlino, jusqu’à ce que de la boule sous les couvertures sorte une main, qu’ils caressent, ou un pied, que l’enfant chatouille, et la comtesse se met à rire. C’est là qu’intervient Salvatore, avec des banalités du genre “une porte qui se ferme, c’est une autre qui s’ouvre” ou “pour toi, le meilleur est encore à venir”, mais dit par lui, en qui elle a une confiance aveugle, ça marche.