Paquebots et chantiers de Saint-Nazaire : le nouveau numéro mémoire d’un monde flottant de la revue 303

saint-nazaire 303

Dans son dernier numéro, la revue culturelle 303 déploie une fresque magistrale consacrée aux paquebots et chantiers de Saint-Nazaire.

Entre mémoire ouvrière, histoire industrielle, arts décoratifs et mutations technologiques, ce volume dense et remarquablement documenté nous plonge dans l’épopée de la ville-portuaire ligérienne. Plus qu’un simple dossier thématique, il s’agit d’un voyage : dans le temps, à travers les mutations d’un territoire ; dans l’espace, à bord de ces navires mythiques qui faisaient la fierté de la France et la réputation du « Made in Saint-Nazaire ».

saint-nazaire

Tout commence en 1862, sur un territoire estuarien en voie de poldérisation, où les frères Pereire, visionnaires banquiers du Second Empire, décident d’implanter un chantier naval pour construire une nouvelle génération de navires métalliques à propulsion mixte. Ce socle originel, détaillé dans le passionnant article de Daniel Sicard, dessine les contours d’une ville façonnée par l’industrie navale, des cales en bois aux géants d’acier. Avec précision, il retrace l’évolution technologique, spatiale et sociale de ce chantier devenu le cœur battant de Saint-Nazaire, jusqu’à ses mutations récentes autour de la croisière et de l’éolien offshore.

La période 1920-1935 marque l’apogée du style Art déco à bord des transatlantiques. Trois paquebots de légende sortent alors des cales nazairiennes : l’Île-de-France, l’Atlantique et le mythique Normandie. L’artiste Jean Dunand, figure tutélaire de cette esthétique, y appose son art total : laque, dinanderie, sculpture. Dans un article richement illustré, Hubert Cavaniol revient sur cette œuvre monumentale, et en particulier sur le temple du laque du salon-fumoir du Normandie.

saint-nazaire 303

L’une des grandes originalités de ce numéro est d’éclairer une page peu connue : celle des hydravions conçus à Saint-Nazaire entre les deux guerres. Marion Weckerle y montre comment la baisse des commandes navales dans les années 1920 amena les chantiers à explorer les airs. S’y côtoient prototypes audacieux, catapultes embarquées, et rêves de paquebots volants destinés aux lignes transatlantiques. Une lecture technique, précise et passionnante.

Au-delà des coques et des machines, ce sont les hommes – et plus rarement les femmes – qui font l’histoire des chantiers. Frédérique Letourneux, dans un article à la fois sociologique et historique, évoque la figure emblématique des métallos briérons, les grandes grèves (dont celle de 1955), la division entre ouvriers, mensuels, intérimaires, travailleurs détachés. À travers cette chronique sociale, c’est aussi une certaine idée du travail, du collectif et de la transmission qui affleure.

Le dossier accorde une large place aux aspects culturels et esthétiques des paquebots : arts de la table, gastronomie, aménagements intérieurs. Jean-Baptiste Schneider souligne l’importance de la « french touch » culinaire comme argument commercial. Pascaline Vallée décrit avec finesse le raffinement des décors destinés à séduire la clientèle américaine. Sévak Sarkissian explore, lui, les résonances du « style paquebot » dans l’architecture terrestre. Même Le Corbusier, pourtant critique de l’Art déco, reconnaissait aux paquebots une forme d’épure et d’efficacité inspirante.

saint-nazaire 303

Le numéro se clôt sur une série de regards contemporains : celui de François Drémeaux, sur la croisière comme reflet d’une société de loisirs ; celui de Sylvain Bonniol, photographe invité, qui capte la poésie brute des formes industrielles ; et celui de Laurent Castaing, actuel directeur des Chantiers de l’Atlantique, interrogé par Jean-Louis Kerouanton sur les défis de demain. Enfin, un texte sensible de Pascaline Vallée, « Mers, intérieurs », prolonge l’imaginaire flottant de ces villes mouvantes où luxe, technique et désir de voyage s’entrelacent.

Riche, pluriel, érudit, ce numéro de 303 est à l’image d’un paquebot construit à Saint-Nazaire : solide dans sa charpente, élégant dans ses finitions, ouvert à tous les vents de l’histoire, des techniques et des sensibilités. Il témoigne de ce que peut être une revue patrimoniale exigeante : un espace de circulation entre mémoire industrielle, culture matérielle et récits humains.

Revue 303 – n°175, Paquebots et chantiers de Saint-Nazaire. 96 pages. ISBN 978-2-905273-94-4. 15 € Parution : Juin 2024