Personal Shopper est-il un film sur la mode ? Olivier Assayas désigne par ce titre le métier de Maureen, son héroïne, qui s’occupe d’acheter des vêtements de couturier pour une célébrité. Mais il joue, avec talent, sur les multiples aspects du terme de mode, autant dans sa dimension érotique, que ludique et superficielle. Personal Shopper est aussi un film sur les fantômes. C’est surtout un film, tout simplement, sur le cinéma et sa puissance d’évocation.
Personal Shopper suit les péripéties de Maureen, une anglophone un peu perdue dans notre Paris contemporain. Cette jeune femme de 27 ans est « personal shopper » pour le compte de Kyra, une célébrité aussi médiatique que capricieuse. Si elle reste dans la capitale, c’est avant tout pour attendre un signe de son frère jumeau, Lewis, mort trois mois auparavant. Comme lui, Maureen est médium : elle retourne dans sa maison de campagne pour communiquer avec son esprit. Olivier Assayas essaye de brouiller toutes les pistes : le réalisme exacerbé du quotidien se mêle au fantastique d’un thriller tremblant, sur fond de mode, de deuil, de spiritualité, et surtout de désir.
Ambitieux, Personal Shopper. Plusieurs dimensions convergent en même temps : le plan temporel s’intrique, et s’intrigue, presque naturellement, au plan spirituel. Dans cette réunion mi-cinématographique mi-spiritiste, Olivier Assayas convoque avant tout le spectateur : c’est à lui qu’il convient, en dernier ressort, de déterminer le sens profond du film. Si l’on résumait, nous dirions que Personal Shopper est un film sur la dualité de l’image. En effet, nous discernons dans le temps du film quatre dimensions de l’apparence.
La première tient au sujet de la mode. Maureen, lassée par son métier, demeure fascinée par les robes, costumes et autres accessoires qu’elle achète pour Kyra. Olivier Assayas ne tombe pas dans une opposition vulgaire entre spiritualité et superficialité de la mode. Au contraire, en cinéaste qui se respecte, il comprend que la mode aussi est un art de la surface et renferme sa profondeur propre. La mode, Olivier Assayas en filme la fascination qu’elle produit, le désir qu’elle suscite, la réalité qu’elle voile. La mode, étymologiquement, consiste en une mesure, une manière de voir : Personal Shopper, ainsi, filme la fascination sur un mode : sur un mode cinématographique.
Une autre dimension de l’apparence passe par le thème du double, du « doppelgänger ». Cette étrange étrangeté saisit le spectateur : Maureen en est le corps, à la fois coupable et victime. Premier élément : la gémellité fantôme qu’elle entretient avec Lewis, ce frère mort, à la fois si absent et présent du film. Deuxième élément : le motif de la doublure, que Maureen assume en remplaçant Kyra, puisqu’elles ont en commun la même mesure. Troisième élément, et non des moindres : le caractère dual du fantôme, qui peut s’avérer bienveillant ou malin.
L’apparence réside aussi dans le jeu des écrans. Olivier Assayas filme notre époque : l’incrustation, dans l’image, des écrans de smartphone ou de portables, génère une seconde réalité, ou plutôt un dédoublement de monde. Un personnage donne à ce sujet une piste intéressante : dès le XIXe siècle, les cercles de spiritisme s’intéressaient beaucoup aux nouvelles technologies, par exemple le morse. Le smartphone, dès ce moment, est marqué par une ambiguïté inquiétante : peut-il être un médium, lui aussi, un moyen de communication avec l’au-delà ? Olivier Assayas suggère plutôt, sur un plan symbolique, que ces nouvelles technologies, comme la nature de l’image, reposent sur une présence absentée.
Enfin, Personal Shopper assume ce motif de l’apparence par l’apparition des fantômes. Réussir le pari, surtout dans un univers réaliste, d’introduire une apparition spectrale pourrait paraître dangereux. Pourtant, Olivier Assayas y parvient avec brio. D’une robe de couturier à un écran de smartphone, le fantôme n’est jamais loin. Pourquoi ? Parce que le cinéaste joue parfaitement sur la proximité sémantique du fantasme : Maureen cherche, de la part de son frère défunt, « un signe ». Or, aucun signe ne peut la satisfaire. La signification achoppe parce qu’elle suscite essentiellement le désir, lequel demeure impossible à assouvir. À ce stade, Personal Shopper prend une dimension métaphysique, car il relie à merveille image, mort et désir.
Le véritable fantôme, n’est-ce pas au final Olivier Assayas lui-même ? Personal Shopper a remporté le prix de la mise en scène à Cannes : son réalisateur, caméra à l’épaule ou presque, saisit l’actrice, Kristen Stewart, dans son intimité. Le regard cinématographique se fait lui aussi médium. Maureen, en invoquant l’esprit de son frère, joue un jeu dangereux. Olivier Assayas, de la même façon, se révèle voyeuriste. Le cinéma se fabrique des fantasmes. Lanterne magique, la caméra se délecte d’un érotisme de la transgression permanent.
Film Personal Shopper Olivier Assayas, France, 1h50, Kristen Stewart, Anders Danielsen Lie, Lars Eidinger…
Personal Shopper :
Titre original et français : Personal Shopper
Réalisation et scénario : Olivier Assayas
Décors: François-Renaud Labarthe
Costumes : Jürgen Doering
Photographie : Yorick Le Saux
Son : Nicolas Moreau3, Olivier Goinard
Montage : Marion Monnier
Production : Charles Gillibert
Sociétés de production : CG Cinéma
Les Films du Losange
Sociétés de distribution : Les Films du Losange
Pays d’origine : France
Langue originale : anglais
Format : couleur – 35 mm
Genre : Film fantastique ; Thriller
Kristen Stewart : Maureen
Anders Danielsen Lie
Lars Eidinger
Sigrid Bouaziz
Nora Von Waldstätten
Pamela Betsy Cooper
David Bowles
Ty Olwin : Gary
Benoît Peverelli