La librairie L’Astrolabe ouvrait à Maurepas en avril 2022. Un an après, cette première coopérative du livre en France emménage dans de nouveaux locaux. Ceux-ci lui permettent de mener dans un seul et même lieu ses différents objectifs : une librairie coopérative, une maison d’édition engagée et un tremplin de projets liés au livre et à ses acteurs et actrices.
Depuis le 23 mai 2023, un nouveau commerce a ouvert ses portes sur la place Lucie et Raymond Aubrac, dans le quartier de Maurepas à Rennes. Pendant un an, la librairie L’Astrolabe était domiciliée au Timbre, ancienne poste de Maurepas reconvertie en pépinière d’entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS). Elle a désormais pignon sur rue, à deux pas du métro, avec 70 m2 de surface de vente, un bureau pour sa maison d’édition Argyll et une mezzanine réservée aux sociétaires de cette première coopérative du livre en France.
À l’origine de ce projet original, on trouve quatre acteurs du livre : Simon Pinel, libraire à la tête des Éditions Critic pendant dix ans, Xavier Dollo, libraire et fondateur des Éditions Adastra, Xavier Collette, auteur de BD (Delcourt, Glénat) et illustrateur de jeux de société, enfin Frédéric Hugot, informaticien spécialiste du livre numérique. « Mais depuis décembre 2022, on est passés en coopérative (SCIC). On n’est plus quatre à détenir le capital mais une centaine de sociétaires. Dès le départ, la volonté était que le projet nous dépasse tous les quatre », précise Simon Pinel.
C’est un peu par hasard que L’Astrolabe s’est retrouvée à épouser un modèle économique de l’ESS. « Au départ, il y avait des constats, comme celui bien détaillé dans le rapport Bruno Racine sur la rémunération des auteurs en France, complètement accablant. Les auteurs sont très mal rémunérés, la plupart vivent dans une situation de précarité », témoigne Simon Pinel. « On voulait aussi changer de modèle, avoir quelque chose de plus coopératif, pas forcément de patron, quelque chose où on puisse s’épanouir, qui repose la question du travail », continue-t-il. Le projet de L’Astrolabe a alors la chance d’être sélectionné par TAg35, qui accompagne l’entrepreneuriat local et collectif dans l’ESS. « Grâce à ça, on a pu monter en compétences sur l’aspect coopératif et entrepreneurial, pousser le projet plus loin. Il est devenu la première coopérative du livre en France », commente le libraire.
Il existait déjà des maisons d’édition ou des librairies coopératives (à Rennes, L’Établi des mots, par exemple), mais L’Astrolabe a la particularité de vouloir englober plus largement les métiers du livre en combinant l’édition, la librairie et un troisième pôle qui serait une sorte de boîte à outils. « L’incubateur, à défaut d’un meilleur terme, a pour vocation d’utiliser le livre comme moyen social, culturel pour agir sur le monde, et de faire en sorte que les acteurs et actrices du livre vivent mieux de leur pratique », explique Simon Pinel. Jusque-là, cette partie de la coopérative a pris différentes formes : implication dans l’organisation de la première édition du festival L’Ouest Hurlant, publication d’une plaquette didactique pour les jeunes maisons d’édition, ateliers d’écriture à destination de personnes souffrant de handicap.
La première année d’activité de L’Astrolabe a permis au projet de fédérer un public, dont une partie est désormais sociétaire de la SCIC, mais aussi de s’implanter dans le quartier de Maurepas en créant des ponts avec ses acteurs. « On ne visait pas Maurepas précisément. L’idée était de ne pas être au centre-ville, où il y a déjà beaucoup de librairies. De par la mixité et l’identité de Maurepas, les gens sont vite venus vers nous, les écoles, les autres entreprises et les associations », raconte Simon Pinel. La dimension coopérative du projet pousse à proposer une animation de quartier légèrement différente de celle des librairies de centre-ville. « On travaille différemment avec les collectivités, avec des lectures dans les écoles par exemple. On envisage aussi l’événementiel et nos partenaires potentiels d’un autre œil. On n’est pas juste là pour vendre les livres de nos invités, mais pour avoir une discussion sociale qui intéresse les gens et permette de faire avancer la société vers des jours meilleurs », affirme Simon.
La maison d’édition de L’Astrolabe, Argyll, répond encore à la volonté de travailler selon un nouveau modèle. C’est en fait le premier volet de cette aventure coopérative puisque les premiers ouvrages paraissent en 2021. « L’édition est arrivée assez vite parce que c’était le confinement. L’activité éditoriale manquait, on est entourés d’auteurs qui sont souvent des amis… On ne pouvait pas ne pas faire d’édition », relate Simon Pinel.
L’engagement d’Argyll passe d’abord par un nouvel équilibre entre auteurs et éditeurs. Celui-ci se fait grâce à un contrat unique rédigé en fonction des demandes d’auteurs. Dans celui-ci, l’éditeur détient uniquement les droits littéraires, c’est-à-dire l’exploitation du texte en grand format. Les auteurs sont libres de disposer des droits du format poche et d’adaptation cinématographique. Les droits d’auteur représentent 12 % du prix de vente hors taxe du livre papier, pour une moyenne de 7,6 % en France. Ces droits peuvent monter à 25 ou 50 % sur les ventes numériques. Un autre engagement d’Argyll est de publier peu pour pouvoir défendre au mieux chaque texte par la communication et le travail auprès des libraires.
Le fond ne pouvant se détacher de la forme, la ligne éditoriale d’Argyll se sépare en deux catégories : des essais sur l’écriture (à raison d’un par an), et des œuvres romanesques de la littérature de genre (polar, roman historique, imaginaire) mettant en jeu une réflexion politique et sociale. « Ce sont des genres qu’on aime beaucoup et qui font parfois un pas de côté pour interroger notre société : le polar peut disséquer la société à travers une enquête, la science-fiction avec l’anticipation va plus loin encore, et même la fantasy en proposant d’autres mondes, d’autres alternatives », décrit Simon Pinel. « Tous nos textes ne sont pas des brûlots politiques. Certains le sont, certains prennent plus de précautions, d’autres interrogent juste un aspect de la société », prévient l’éditeur.
La touche finale de cette coopérative du livre est évidemment la librairie. « C’est quelque chose qu’on sait faire, qu’on peut penser autrement, mais qui reste un commerce, un socle financier solide et un moyen de pousser plus loin les autres envies », explique Simon Pinel. Le nouveau local, sis 20 place Lucie et Raymond Aubrac permet justement d’accueillir les trois activités dans un seul et même lieu. C’est aussi un gain de place conséquent par rapport au précédent local : les 70 m 2 d’espace commercial donnent l’occasion à L’Astrolabe de faire monter son catalogue à 7000 références en rayon. « On va avoir plus de nouveautés, des rayons plus identifiés puisque plus grands et enrichis », annonce le libraire enthousiaste. En plus d’une impressionnante bibliothèque murale, le magasin dispose désormais d’une petite mezzanine réservée aux sociétaires. Celle-ci peut servir d’espace de travail, de formations ou d’ateliers de lecture en tout genre.
Après ce déménagement, le reste de l’année devrait encore être mouvementé pour L’Astrolabe, avec l’arrivée de deux nouveaux employés en septembre, des animations deux à trois fois par mois et la publication de trois ouvrages Argyll. La maison d’édition prépare aussi le lancement d’une collection qui devrait voir le jour après l’été 2024.
Vous souhaitez vous impliquer dans cette première coopérative du livre en France ? Pour 25 €, vous pouvez en devenir sociétaire, prendre part à son assemblée générale et proposer ou participer aux projets que vous souhaitez. « Une de nos sociétaires fait de la lecture aux enfants de l’école Trégain, quelqu’un d’autre s’occupe des ateliers d’écriture. En librairie, les commentaires sur les livres sont écrits par nos sociétaires », confie Simon Pinel.
Infos pratiques
L’Astrolabe
20 place Lucie et Raymond Aubrac
Ouvert du mardi au samedi de 10h à 19h
02 23 06 14 13
astrolabe@argyll.fr