À Rennes, Le Bistrot de la cité résiste. Face à la gentrification du centre-ville, aux contraintes qui pèsent sur les cafés-concerts, à la muséification de « Rennes, ville rock ». Tenu depuis 25 ans par le noctambule Philippe Tournedouët, le troquet où se mêlent vieux briscards de la nuit rennaise et nouvelles générations continue de mettre en avant la scène rennaise. Le tout dans la simplicité et la convivialité. Un mot d’ordre : donner du plaisir et faire la fête !
À 19 h un mercredi, ça s’agite déjà devant le Bistrot de la cité, au 7 rue Saint-Louis, à deux pas de Sainte-Anne. Un concert de Gliz, organisé par l’association La Choze, se prépare. Dans l’arrière-cour, le patron Philippe Tournedouët nous reçoit. Il a 67 ans et vient de subir une opération de la gorge. Il doit presser son pansement pour se faire entendre, aux prix de grands efforts. Ça n’empêche pas cet acharné de répondre à nos questions pendant 40 minutes. Il manque de s’étouffer à chacune de ses blagues et n’hésite pas à nous offrir une imitation de Darth Vader. Il est accompagné d’un des responsables du bar, David Perrot, dans la maison depuis six ans.
Quand il reprend le Bistrot de la cité à une copine en 1998, Philippe Tournedouët est déjà un personnage de la culture rennaise. Un temps programmateur musical des discothèques L’Espace et Le Stanley. Un temps à travailler avec les Trans Musicales. Un temps à tenir le bar de nuit Le Chatham où il crée les Apéros Trans qui deviendront le festival Bars en Trans. Philippe traverse la nuit rennaise du demi-siècle passé. « Ça fait à peu près 45 ans que je bosse la nuit à Rennes. J’aime ça. [Pourquoi t’aimes ça ?] Je me pose la question. Je devrais être en retraite, je le suis pas. J’aime ça parce que j’aime pas me lever tôt. Et j’aime le contact des gens. »
Quand il reprend le Bistrot de la cité, le troquet était déjà le repère « de tous les vieux punks de Rennes, de tous les égarés aussi », témoigne Philippe Tournedouët. Le bar est connu et fréquenté. La salle de la Cité juste en face vit sa période glorieuse. Les musiciens viennent boire des verres avant et après leur concert. « On en a même vu pendant », remarque David Perrot. Le tenancier s’arrange pour créer un dialogue permanent avec la salle en faisant à manger pour les groupes et les équipes techniques.
« Pour moi, la bouffe c’est très important dans la musique. Les musiciens se réunissent pour manger ensemble, s’arrêter, passer un bon moment. C’est ça l’accueil pour eux. C’est un état d’esprit que j’ai appris des Trans », raconte Philippe Tournedouët. La tradition se perpétue aujourd’hui avec les groupes qui se produisent au Bistro de la cité. « Un jour, on était partis aux champignons avec des copines. Au retour on a fait bosser tous les clients et on a préparé un risotto pour 40 personnes », raconte David Perrot.
Depuis 25 ans, Philippe Tournedouët collabore avec des associations rennaises pour proposer concerts et spectacles immanquablement bondés. « Je préfère en faire moins mais faire des cartons », avise-t-il en sage. Avec David, ils sont bien embêtés pour décrire la ligne musicale du bar. « Tout le monde parle de rock’n’roll, mais non. C’est très éclectique », affirme Philippe. Les deux tombent d’accord sur le fait que la programmation est à l’image de la scène alternative rennaise et des associations qui la font vivre. « Ça fait partie de la dynamique du bar de bosser avec des assos. Il y en a plein, la musique est différente de l’une à l’autre mais elles ont toutes un esprit underground », explique Philippe.
Il cite en premier lieu le label rennais Beast Records, connu notamment pour le festival rock Binic Folks and Blues, qui a depuis longtemps ses quartiers au Bistrot de la cité. « C’est un super travail qu’on fait ensemble, il m’amène parfois des groupes internationaux qui ont joué devant 5000 ou 10 000 personnes. » Parmi les collectifs qui s’y produisent régulièrement, citons encore Swish Swash Records, Mourir Bête, la compagnie de chansigné Albaricate, la troupe de cabaret DRAG. On peut aussi y trouver à l’occasion expositions et marchés de créateurs.
Certains groupes et artistes ont fait leur carrière au Bistrot de la cité. Ce sont les relations et les concerts les plus marquants pour Philippe Tournedouët. Il se souvient des multiples passages de Dominique Sonic, Kas Product, Rouge Gorge ou encore Tchewsky & Wood. Un aperçu de la scène rennaise des années 80 à aujourd’hui. De celle qui a glissé du rock cold wave aux sonorités électroniques de la synthwave.
Comme cette scène, le bar n’a pas vraiment changé d’état d’esprit avec le temps. Mais il a évolué avec les rencontres. « Le bistrot suit l’évolution politique et sociale de la ville », déclare Philippe. Les vieux copains du patron sont toujours là. D’autres sont arrivés depuis. « C’est grâce à mes nouveaux employés. Quand tu accueilles quelqu’un, il amène d’autres gens. Avec un autre état d’esprit, mais qui correspond quand même au mien », observe-t-il. En 25 ans, ils sont une quarantaine à avoir servi au comptoir du Bistrot de la cité.
Philippe Tournedouët souligne les difficultés qui pèsent sur le modèle des cafés-concerts. « Ça a été menacé d’entrée de jeu quand l’Europe nous a demandé plein de travaux alors qu’on est des petites entreprises sans trop de tunes. Il y a toutes ces contraintes aujourd’hui (isolation, sécurité), et puis il y a l’état d’esprit du voisinage. » Lui touche du bois, pas une plainte de voisin en 25 ans. « Ce sont surtout des étudiants que je finis par connaître, on termine les concerts de bonne heure et on tient bien la clientèle », justifie-t-il.
Mais en réponse à un discours souvent défaitiste sur le manque d’espaces de diffusion à Rennes et la disparition des cafés-concerts, Philippe énumère les petits lieux qui font encore battre le cœur vibrant de l’émergence musicale rennaise. Troquets du centre-ville ou des quartiers, guinguettes estivales, ils sont nombreux à faire vivre cette scène. Et dans ce réjouissant orchestre, le Bistrot de la cité a toujours une place de choix.
Venu voir le concert, Jean-Louis Brossard, directeur des Trans Musicales se joint à la discussion et nous offre son témoignage. « Je sors assez peu à Rennes, mais quand je sors, c’est ici que je viens. C’est un endroit où on a passé de très bons moments, et c’est pas fini. Je viens souvent pour les concerts, comme ce soir. J’ai vu plein de choses bien. Ça aide vachement la scène rennaise. Mais c’est de l’humain aussi. Si je vais au bar ici, ça tient vachement aux personnes. À Philippe d’abord, puis à toute son équipe. Il y en a eu plein à passer, tous aussi sympa. Tu sais que t’es bienvenu, personne se la pète. Et puis ça brasse, j’aime bien les gens qui viennent ici, je me sens chez moi. »
Pour un concert, un spectacle, une partie de flipper, « une connerie à dire ou à entendre », Philippe, David, Delphine, Lisa et Stéphane vous accueillent au Bistrot de la cité, « dans l’esprit des bistrots de la vieille école ».
Infos pratiques
7 rue Saint-Louis, Rennes
lundi : Fermé
mardi : 16:00–01:00
mercredi : 16:00–01:00
jeudi : 16:00–01:00
vendredi : 16:00–01:00
samedi : 12:00–01:00
dimanche : 16:00–01:00
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