L’artiste Katia Kameli fait voyager le public du centre d’art contemporain la Criée en terres persanes avec Le Cantique des oiseaux, traduction libre du recueil de poésie mystique La Conférence des oiseaux de Farïd od-dïn’Attar. Cette exposition chorale déploie un cheminement artistique entre les cultures, thématique chère à celle qui se considère comme une traductrice. À découvrir du 21 mai au 28 août 2022.
Une douce musique et les couleurs pastels de la fresque murale accueillent le public du centre d’art contemporain la Criée dans une énergie apaisante, voire spirituelle. Comme une impression de plonger dans un paysage rêvé. L’artiste Katia Kameli se frotte à la terre, une première pour elle, et traduit artistiquement le chef-d’œuvre de la poésie persane La Conférence des oiseaux de Farïd od-dïn’Attar de 1177.
« J’ai survolé longtemps les plaines et les mers, j’avançais pas à pas, la tête dans les cieux… » Par-delà cette vallée, sur les hauteurs du mont Qâf, se trouve Sa Majesté Sîmorgh, oiseau mythique, allégorie du Divin. À la recherche d’un nouveau roi, plusieurs oiseaux prennent la parole – le hibou, le canard, le faucon, le paon, etc. – mais tous trouvent de bonnes raisons pour ne pas faire le voyage. La huppe, messagère de Salomon, finit par les convaincre. Commence alors un voyage initiatique, symbolique et spirituel, à travers les sept vallées successives du Désir, de l’Amour, de la Connaissance, de la Plénitude, de l’Unicité, de la Perplexité, du Dénuement et de l’Anéantissement. Seuls trente oiseaux parviennent à la fin du voyage. Ils se retrouvent alors face à Sîmorg qui n’est autre que le reflet d’eux-mêmes… Cette quête spirituelle nourrit le travail artistique de Katia Kameli.
L’artiste se lance dans une nouvelle expérience de traduction et, pour la première fois, elle s’essaie à la céramique et l’aquarelle dans la recherche d’un geste intuitif plus que celle de la perfection.
Le spectateur retrouve dans cette exposition Le Cantique des oiseaux son intérêt pour la traduction et son évolution à travers les siècles et les continents. « On n’invente rien. On réinterprète, réinvente ou retraduit dans une autre langue », souligne Katia Kameli.
Après son œuvre Stream of stories, présentée à Rennes en 2018 dans le cadre de la biennale d’art contemporain de Rennes, Katia Kameli avance sur la voie de la traduction et plonge dans la poésie de la fin du Moyen Âge. Son travail précédent se développait autour de la circulation des fables, des origines jusqu’à aujourd’hui, mais pour cette nouvelle proposition l’artiste s’est intéressée à ce texte majeur de la culture orientale à travers différentes traductions françaises : celle d’Henri Gougaud d’abord, celle de Jean-Claude Carrière ensuite et, enfin celle, plus récente, de Leili Anvar, à laquelle elle emprunte son titre.
Il est aisé de faire le lien entre ses différents travaux. Une nouvelle fois, Katia Kameli s’intéresse à cette prosopopée afin d’aborder des problématiques sociétales sans craindre des représailles du pouvoir. Plusieurs écrivains ont utilisé ce biais pour critiquer le système en place à leur époque. Les Fables de La Fontaine (1668 et 1694) parlaient des inégalités et de l’injustice, critiquaient la bourgeoisie et la noblesse. Dans La Ferme aux animaux de Georges Orwell en 1945 est proposée une satire de la révolution russe et une critique du régime soviétique, des régimes autoritaires et du totalitarisme. Les personnages de La Conférence des oiseaux de Farïd od-dïn’Attar (1177) renvoient quant à eux à l’humanité. « Ils sont une figuration des hommes et de leur capacité à aller au-delà d’eux-mêmes ou à se déplacer. » Dans ce bestiaire, chaque oiseau représente autre chose qu’eux-mêmes, un trait de caractère : La huppe représente le guide, le paon l’égaré, le perroquet l’ignorant du bonheur, le hibou l’enivré ou encore le canard le pur. « Farïd od-dïn’Attar utilise aussi les oiseaux car c’est eux qui font le lien entre la terre et le ciel. »
Dans cette exposition, Katia Kameli recourt pour la première fois à la céramique et à l’aquarelle. L’habituée de la cocréation et de la collaboration qu’elle est a fait appel aux céramistes Émile Degorce-Dumas et Marie Picard pour la création des sculptures qui sont également des instruments de musique. Cette douce musique que l’on entend depuis le début n’est autre que le chant de ces oiseaux de terre actuellement endormis sur leur socle d’un blanc immaculé. Mais il ne faudra pas attendre longtemps, car les oiseaux endormis se réveillent dans un film que le spectateur découvrira après avoir passé le seuil…
Personnifiés par des musiciennes du conservatoire du XVIIIe arrondissement de Paris, les oiseaux s’animent et leur chant s’élève. La traduction est plus frontale, mais la narration n’en est pas moins mystique. Elles scandent le voyage du millier d’oiseaux en quête de Sîmorg, de la ville à la nature dans un voyage initiatique qui, dans le regard des spectateurs, prend tout son sens. « Je voulais que les oiseaux se baladent dans cette zone urbaine marquée justement par la disparition de ces animaux et de leurs chants. » Katia Kameli fait revenir le chant des oiseaux en ville dans une transposition inversée. Comme les oiseaux du poème qui renvoient à l’humanité, c’est au tour des musiciennes de faire parler les animaux ailés. Elles leur prêtent un souffle afin qu’ils se fassent entendre.
La vidéo parvient à retranscrire ce qui se trouve dans le texte. Un chemin sinueux et individuel pour arriver à la fin à un collectif. La présence de ce cercle seulement composé de femmes, une heureuse coïncidence, hypnotise et donne également une nouvelle dimension à la vidéo. Une autre lecture qui s’inscrit dans l’actualité. On y voit une sororité. « L’idée est d’être ensemble. »
En coproduction avec l’Institut des cultures d’Islam, les oiseaux s’envoleront pour Paris en 2023.
Jusqu’au 28 août 2022, exposition Le Cantique des oiseaux de Katia Kameli, centre d’art contemporain La Criée.