Rennes face au changement climatique : le défi majeur de la gestion de l’eau

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Barrage Chezé
Barrage Chezé, vue aérienne

Confrontée à des nappes phréatiques en tension et à des épisodes de sécheresse désormais récurrents, Rennes se retrouve en première ligne pour réinventer sa gestion de l’eau. La métropole veut démontrer qu’un modèle résilient est possible, à condition que chacun réduise sa consommation et que le territoire anticipe beaucoup plus qu’il ne répare.

Des nappes bretonnes sous pression

Le 6 octobre 2025, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) publiait son bulletin mensuel sur l’état des nappes phréatiques fin septembre en Bretagne. Il y constate que 44 % des nappes présentent un niveau stable et 44 % un niveau en baisse. Surtout, 52 % des nappes bretonnes se situent en dessous des normales saisonnières, avec une majorité de niveaux « modérément bas » et quelques secteurs « bas à très bas ». Seul un quart environ des nappes est proche de la normale, et une petite minorité affiche des niveaux modérément ou très hauts.

Ce diagnostic rappelle un point crucial : la Bretagne, bien que réputée pluvieuse, ne dispose pas de ressources souterraines abondantes ni profondes. En Ille-et-Vilaine, les nappes sont peu profondes, très réactives aux déficits de pluie. Elles constituent pourtant une part importante de l’alimentation en eau potable et de l’irrigation agricole. Quand les recharges hivernales sont insuffisantes, la tension se reporte sur les barrages et les captages en rivière.

nappe phréatique bretagne

De la « région toujours arrosée » à la sécheresse devenue ordinaire

Longtemps, le territoire rennais s’est cru relativement protégé, porté par une image de « région toujours arrosée ». Mais depuis 2022, cette représentation vole en éclats. Après un automne 2021 déjà déficitaire, l’été 2022 a connu un cocktail redoutable : précipitations très faibles, épisodes de chaleur extrême jusqu’à 40,5 °C à Rennes, niveaux historiquement bas des cours d’eau. Les barrages, les rivières et les nappes ont été durablement mis sous tension. Les années suivantes n’ont pas permis de revenir à une situation « normale » : si les pluies de fin d’hiver 2023-2024 ont offert quelques épisodes de recharge, les indicateurs restent fragiles et les épisodes de vigilance, d’alerte ou de
crise sécheresse se répètent presque chaque année.

En parallèle, le territoire doit aussi gérer des orages très intenses, responsables d’inondations rapides, de ruissellements urbains et de coulées de boue. Le changement climatique ne se résume donc pas à « moins d’eau », mais à un cycle de l’eau plus extrême et plus irrégulier : alternance de sécheresses, de pluies violentes et de périodes de recharge incertaines. En somme, la Bretagne et le bassin rennais n’échappent plus à une nouvelle norme : celle d’une « sécheresse ordinaire », récurrente, qui oblige à passer d’une gestion de crise à une culture de l’anticipation.

Un territoire déjà vulnérable sur le plan hydrologique

Le diagnostic de vulnérabilité au changement climatique mené pour la révision du Plan Climat Air Énergie Territorial (PCAET) de Rennes Métropole est sans ambiguïté : le territoire est structurellement fragile face aux sécheresses, aux canicules et aux pluies
intenses.

Sur le plan de l’eau, deux éléments ressortent particulièrement :

  • 0 % des 30 masses d’eau de Rennes Métropole sont aujourd’hui en bon état écologique. L’objectif est d’en amener au moins 7 au bon état d’ici 2030, en améliorant la qualité de l’eau et les fonctionnalités écologiques des cours d’eau et zones humides.
  • Les épisodes de sécheresse de 2017, 2019, 2022, 2023 et 2025 ont conduit à placer une grande partie du territoire, à plusieurs reprises, en vigilance, alerte, alerte renforcée ou crise sécheresse. La probabilité d’événements similaires – voire plus sévères – augmente dans les scénarios climatiques de référence.

À cela s’ajoute une pression démographique forte : d’ici 2030, le bassin rennais pourrait accueillir environ 60 000 habitants supplémentaires par rapport à 2019. Si rien ne change, cette croissance se traduirait mécaniquement par des prélèvements supplémentaires sur une ressource déjà fragile.

Le PCAET 2025–2030 : préserver la ressource et restaurer le cycle de l’eau

Pour répondre à ces enjeux, Rennes Métropole a révisé son Plan Climat Air Énergie Territorial, dont le plan d’action « Adaptation » 2025-2030 consacre un axe entier à l’eau et aux milieux aquatiques. La stratégie repose sur trois piliers :

  • Retrouver un cycle de l’eau plus fonctionnel : désimperméabiliser les sols, restaurer les zones humides et les cours d’eau, renforcer la place de l’eau dans l’aménagement urbain, favoriser l’infiltration plutôt que le ruissellement rapide.
  • Améliorer l’état écologique des masses d’eau : renforcer la stratégie « Biodiversité et Eau », protéger les zones humides et les haies, restaurer les continuités écologiques et les milieux aquatiques, limiter les pollutions diffuses d’origine agricole ou urbaine.
  • Adapter les réseaux et la gouvernance de l’eau : sécuriser la production et la distribution d’eau potable, anticiper les crises de sécheresse, développer une culture partagée de l’adaptation avec les habitants, les agriculteurs et les entreprises.

L’objectif affiché est double : réduire les prélèvements d’eau de 10 % d’ici 2030 par rapport à 2019, et faire baisser la consommation moyenne de chaque usager d’environ 17 %, actuellement à 110 litres par jour par habitant. Autrement dit, avec 60 000 habitants de plus, il s’agit de servir davantage de monde… avec moins d’eau prélevée.

Qui fournit l’eau du bassin rennais ?

Sur les dix-sept ressources d’alimentation en eau du territoire, une large part est assurée par des captages de surface (barrages, rivières, étang) et par une douzaine de captages souterrains. Les Drains du Coglais, le barrage de Chèze-Canut ainsi que les captages du Couesnon constituent les piliers de cette alimentation. À eux seuls, ils assurent 90 % de la production d’eau potable du bassin rennais.

Au total, la Collectivité Eau du Bassin Rennais doit désormais produire environ 27 millions de m³ d’eau potable par an pour alimenter 75 communes et plus de 550 000 habitants. Les usines de potabilisation et les grands ouvrages sont interconnectés entre eux et avec certains territoires voisins, afin de limiter la vulnérabilité en cas de difficulté sur une ressource ou une usine.

Cette organisation s’appuie sur une gouvernance publique : la Collectivité Eau du Bassin Rennais (pour la ressource et la production) et la SPL Eau du Bassin Rennais (pour la distribution) gèrent ensemble la chaîne « du captage au robinet ».

Les volumes d’eau globale consommés restent relativement stables depuis 2019, alors même que la population augmente. C’est un premier signe encourageant : la sobriété progresse, mais elle doit encore s’intensifier pour compenser les effets du climat.

Barrage Chezé
Barrage Chezé

Tarification progressive : une eau au « juste prix »… si l’on reste sobre

Rennes est régulièrement citée comme un territoire pionnier en matière de tarification sociale et écologique de l’eau. Le principe est simple : les premiers mètres cubes, correspondant aux usages vitaux, sont gratuits ou peu chers, puis le prix augmente au fur et à mesure que la consommation devient plus importante.

Depuis le 1er janvier 2025, le dispositif fonctionne ainsi pour les particuliers disposant d’un compteur individuel :

  • 10 m³ gratuits par an, pour garantir l’accès à une quantité d’eau vitale ;
  • plusieurs tranches payantes successives (11–50 m³, 51–100 m³, 101–150 m³, puis
    au-delà de 151 m³), avec un prix du m³ qui augmente à chaque seuil ;
  • des dispositifs spécifiques pour les ménages précaires (chèque eau, dispositifs
    pour les familles nombreuses).

Plus on consomme, plus le mètre cube devient cher. À l’inverse, les consommations modestes sont protégées.

Cette logique s’applique également aux grands consommateurs économiques : la tarification dégressive (plus on consomme, moins c’est cher) a été progressivement abandonnée au profit d’une tarification plus incitative et plus « juste » entre les usages.

D’autres métropoles, comme Montpellier ou la métropole de Lyon, ont adopté ou sont en train d’adopter des systèmes de tarification progressive, même si leurs modalités diffèrent de celles du bassin rennais.

Accompagner les agriculteurs et sécuriser les ressources

La protection de la ressource ne se joue pas qu’aux robinets. Une part significative du travail de la CEBR se fait « en amont », sur les bassins versants d’alimentation des captages :

  • contrats territoriaux avec les agriculteurs pour réduire les nitrates et les pesticides ;
  • développement de l’agriculture biologique et des systèmes herbagers ;
  • paiements pour services environnementaux et dispositifs « Terres de Sources » qui valorisent les productions issues de fermes engagées dans la protection de l’eau.

L’idée est d’articuler rémunération des agriculteurs, protection de la qualité de l’eau et débouchés locaux. Mieux l’eau est protégée à la source, moins son traitement en usine est coûteux, et plus les milieux aquatiques restent résilients face aux sécheresses.

Sobriété : l’effort individuel au cœur de la stratégie

Reste une question centrale : le risque de pénurie est-il possible ? La réponse, aujourd’hui, est nuancée : Rennes ne se trouve pas en situation de pénurie d’eau potable, mais elle fait face à un risque croissant de tensions récurrentes si les sécheresses s’enchaînent et si les efforts de sobriété restent insuffisants.

Les projections démographiques et climatiques sont claires : sans baisse des consommations unitaires, il sera difficile de respecter l’objectif de –10 % de prélèvements d’ici 2030. C’est pourquoi la Collectivité Eau du Bassin Rennais et Rennes Métropole multiplient les campagnes d’information et d’incitation :

  • programmes d’économies d’eau (ECODO) pour les particuliers, collectivités et entreprises ;
  • campagnes de communication (« On a déjà tout pour le futur », « Eau potable : restons vigilants ») rappelant les gestes simples : détecter les fuites, réduire la durée des douches, récupérer l’eau de pluie, adapter les usages extérieurs, etc. ;
  • dispositifs comme « Soif de Rennes », qui encouragent la consommation d’eau du robinet en ville grâce à un réseau de commerçants et de fontaines accessibles.
  • Déploiement de solutions de télégestion depuis plusieurs années pour détecter plus rapidement les fuites d’eau sur son réseau et remonter automatiquement des données essentielles : 1,2 million m³ d’eau économisés chaque année, soit 270 000 €

Les volumes d’eau globale consommés restent relativement stables depuis 2019, alors même que la population augmente. C’est un premier signe encourageant : la sobriété progresse, mais elle doit encore s’intensifier pour compenser les effets du climat.

drains du coglais
Les Drains souterrains du Coglais

Un laboratoire de l’adaptation… sous contrainte

Rennes et le bassin rennais se trouvent dans une position paradoxale : à la fois laboratoire de politiques ambitieuses(tarification progressive, gouvernance publique, protection des captages, plan d’adaptation) et territoire vulnérable, soumis à une ressource limitée, à des nappes fragiles et à des sécheresses plus fréquentes.

Le défi, pour les années à venir, sera de tenir ensemble plusieurs exigences :

  • continuer à sécuriser l’alimentation en eau potable sans chercher à « artificialiser » à outrance le cycle de l’eau ;
  • restaurer les milieux aquatiques pour qu’ils deviennent des alliés contre les sécheresses et les crues ;
  • maintenir l’eau à un prix socialement acceptable, tout en finançant les investissements massifs nécessaires ;
  • embarquer habitants, agriculteurs, entreprises et collectivités dans un effort collectif de sobriété, condition indispensable pour éviter que la notion de « pénurie » ne devienne, elle aussi, ordinaire.

Article réalisé par Gabriel Daubigney

Sources

BRGM, Bulletin de situation des nappes d’eau souterraine – Bretagne, septembre 2025.

·    Rennes Métropole, PCAET 2025–2030, fascicule « Plan d’action Adaptation au changement climatique », janvier 2025.

·    Collectivité Eau du Bassin Rennais, Budget primitif 2025 par mission politique ; Rapport sur le prix et la qualité du service de l’eau 2021.

·    Eau du Bassin Rennais – pages « Tarification sociale et écologique de l’eau », « Nouveautés sur la tarification au 1er janvier 2025 » et informations communales (Mordelles, La Chapelle-des-Fougeretz…).

·    Articles et dossiers de la Chaire « Eaux et territoires » (Fondation Université de Rennes) sur la sécheresse 2022 et les projections climatiques.

·    Site « Risque naturel : sécheresse » de Rennes Métropole / Ille-et-Vilaine.