Trug’Planet est un concept innovant pensé par Valérie Cottereau, directrice de la société de réalité virtuelle et augmentée Artefacto, installée à Betton. Ouverte virtuellement en octobre 2021, la plateforme propose aux salariés des entreprises membres de collecter des congés payés afin de participer à des missions bénévoles auprès des associations environnementales locales. La rédaction a interrogé Valérie Cottereau et Clothilde Marchegay, en charge de Trug’Planet, afin de connaître les tenants et aboutissants de ce concept autant novateur qu’engagé.
Trug’Planet a émergé au cœur de la Bretagne en 2018 dans l’esprit de Valérie Cottereau, fondatrice d’Artefacto, petite moyenne entreprise (PME) créée en 1998 et pionnière de la réalité augmentée et de la réalité virtuelle. Région innovante, ouverte et active au niveau associatif, notre région se révèle le lieu idéal pour l’expérimentation d’un projet autant inédit qu’engagé. Plateforme de collecte et de mutualisation de temps, Trug’Planet facilite la mise en relation entre les entreprises, leurs salariés et les associations locales engagées en faveur de l’environnement breton.
Impulsée par Artefacto et soutenue par la région Bretagne, la plateforme Trug’Planet est née du constat de Valérie Cottereau d’un changement de comportement des salarié.e.s en interne. L’essence du concept est de répondre à leur besoin de déconnexion, à leur volonté d’agir pour la planète et à leur envie de découvrir le monde associatif.
Trug’Planet, agir grâce à la force collectif
D’un côté se trouvent les entreprises. Elles ne peuvent s’engager par manque de trésorerie, ne savent ni comment agir, ni par où commencer. Les salarié.es, eux, c’est par manque de temps, le rythme du temps plein freinant drastiquement les initiatives. De l’autre, les associations qui ont continuellement besoin de main d’œuvre et d’aides financières. « Valérie a également constaté une envie de la part des dirigeants de PME d’agir sur le territoire et d’avoir un impact sur la société », déclare Clothilde Marchegay qui a rejoint le projet alors qu’il n’était qu’à l’état embryonnaire, dans le cadre d’un stage de fin d’études en 2020. « Mon mémoire questionnait la perception des Français au regard des actions de RSE [Responsabilité sociétale/sociale des entreprises, ndlr.] menées par des multinationales en France ou à l’étranger. À pertinence égale, est-on plus sensible si une action est menée à proximité de chez nous ou à l’autre bout de monde », explique-t-elle. « Le résultat révélait que les Français aimaient voir le résultat de leurs actions. »
La plateforme tend à répondre à cette équation en créant une mutuelle de congés payés, une collecte de temps intra-entreprises entre collaborateurs pour que les salariés puissent agir au niveau local. « L’idée était de créer un outil assez simple pour mettre un premier pied dans la machine et clôturer le système entrepreneurial, notamment celui des PME dont est issue Artefacto, parce qu’on sait que les moyens manquent, autant humains que financier », poursuit Valérie Cottereau. Trug’Planet, de « trugarez » qui signifie « merci » en breton, propose aux entreprises et à leur équipe salariale un dispositif d’abandon volontaire de congés payés (CP), le don étant interdit sauf à titre exceptionnel. Chaque salarié peut ainsi renoncer à un ou plusieurs jours de congés afin de participer à une mission bénévole auprès d’une association régionale reconnue d’intérêt général et adhérente à Trug’Planet. « Le but est de pouvoir intervenir, apprendre près de chez soi et sensibiliser le grand public qui n’a pas forcément le temps d’agir même s’il y a une volonté », complète Clothilde Marchegay.
L’abandon de jours est réglementé et limité pour le bien-être moral et physique du salarié, mais pour des missions de plusieurs jours, le salarié peut collecter des jours auprès de ses collègues. Elle rajoute : « L’essence même de Trug’ est que ce soit une mission collective dans laquelle une personne porte la mission et est soutenue par l’ensemble de l’équipe en interne. » Plusieurs salariés de la même entreprise peuvent également partager ce moment en collectif.
Trug’Planet permet aux entreprises de contribuer aux enjeux du développement durable et s’inscrit ainsi dans la démarche RSE. Celle-ci désigne la prise en compte par les entreprises, sur une base volontaire et parfois juridique, des enjeux environnementaux, sociaux, économiques et éthiques dans leurs activités. Une plus value pour les entreprises qui cherchent à avoir un impact positif sur la société. « Au niveau RSE, Trug’ se situe dans l’environnement avec les actions, la gouvernance, car c’est le salarié qui choisit sa mission et décide où agir, et le bien-être au travail parce que la plateforme englobe la déconnexion, la réponse à des valeurs et la quête de sens », précise Clothilde Marchegay. Commencer par un engagement pour l’environnement fut en effet une évidence lors de la conception. « On vient tous de l’environnement, de cet écosystème. »
Pour adhérer, rien de plus simple. Les entreprises s’inscrivent sur la plateforme en indiquant leur numéro de Siret, un mail professionnel, un mot de passe et les informations pratiques (adresses, numéro, etc.). Une fois inscrite, le nom de l’entreprise apparaît sur la plateforme et l’employeur peut paramétrer son compte. « Le plus important est de renseigner les informations du représentant légal », continue Clothilde. Il est ensuite demandé d’importer un document Excel dans lequel figure les nom, prénom et adresse mail des salariés motivés ou de l’ensemble de l’équipe salarial, le but étant que tous et toutes participent. Le paramétrage terminé, les salariés reçoivent des identifiants qui permettent l’accès à leur compte. Sur son espace, le salarié peut alors choisir une mission, poser un congé, ou collecter du temps si la mission dure plusieurs jours, et part physiquement aider une association. « Ils ne peuvent pas participer à des missions ou soutenir des associations si l’entreprise n’est pas inscrite et n’a pas importé le document. »
En mars 2022, trois salarié.e.s d’Artefacto participaient à la première mission, au sein de l’association Pakadur. Et en juin, des salarié.e.s de deux très petites entreprises (TPE) ont embarqué sur un bateau du patrimoine maritime pendant deux jours avec l’association RIEM (Réseaux d’initiatives des écoexplorateurs en mer), dans le golfe du Morbihan.
« L’innovation de Trug’Planet, c’est qu’à chaque mission soutenue, l’entreprise reverse une aide financière à l’association reconnue d’intérêt général. Grâce au principe de la défiscalisation, ce coût leur revient à 0 €. » Le patron reverse ainsi sous forme de cagnotte la valeur des charges patronales qu’il aurait payé pour les CP. « Comme la défiscalisation concerne 60 % des dons qui sont faits, on considère que ce que l’entrepreneur aurait payé de toute façon, il se doit de les payer sous une forme ou une autre », enrichit Valérie Cottereau. Le montant est variable en fonction des salaires. Pour donner un ordre d’idée, en se basant sur le salaire moyen breton, trois salariés qui partent deux jours en mission correspond à environ 400 € reversés.
Pour faire simple, grâce à Trug’Planet, l’association récupère des bénévoles et a un soutien financier. « L’encadrement de bénévoles coûte très cher et les associations n’ont pas forcément les moyens. On voulait aussi les accompagner sur ce plan là. »
« Le but est qu’il y ait minimum 400 jours engagés par mois », Clothilde Marchegay.
Trug’Planet se veut une plateforme accessible à tous, associations et entreprises, qu’importe la taille. Pour cela, la plateforme propose parallèlement des cagnottes. Le salarié reverse dans ce cas son congé payé sur la cagnotte plutôt que de s’en servir pour une mission. « Le bénéfice pour le salarié c’est qu’il n’y a pas de perte de pouvoir d’achat. Comme il reste travailler, l’argent ne sort pas de son compte. » Un peu comme la journée de solidarité le jour de Pentecôte. À titre d’exemple, l’association Bretagne Vivante a ouvert la première cagnotte en décembre 2021 pour du matériel dans le but de réaliser des chantiers d’entretien dans les réserves naturelles du Finistère. 430 € ont été récoltés.
Actuellement, huit entreprises sont inscrites sur la plateforme (Artefacto, Etic’k Paie, CKRE Group, La Feuille d’Érable, MV Group, PLF Unite, Provectio et Trug’Planet) et plusieurs associations sont déjà adhérentes pour des missions partout en Bretagne : LPO Bretagne, Bretagne Vivante, VirArmor Nature, Pakadur, Benenova Rennes, Trik’ailes, ACMOM (association pour la conservation des mammifères et oiseaux marins de Bretagne).
Coup de pouce ou coup de cœur ?
Dans l’optique de s’adresser à toutes les tailles d’entreprises, trois offres d’adhésion ont été pensées. « On travaille sur une solution pour les auto-entrepreneurs, car ils n’ont pas de congés, mais la plateforme est ouverte à toutes, dès que la TPE à un salarié. »
Pour les entreprises à effectifs très réduits, la plateforme propose l’offre « coup de pouce ». Cette dernière gèle les missions et donne accès seulement aux cagnottes, qui reste à charge zéro pour l’entreprise. « Les entreprises n’ont pas forcément les ressources humaines dédiées pour travailler sur ces sujets-là, comme dans les PME, les entreprises de taille intermédiaires (ETI) ou les très petites entreprises (TPE) alors qu’elles représentent un tissu économique conséquent en France. »
L’offre « coup de main » s’adresse particulièrement aux PME et donne accès aux cagnottes et aux missions tandis que « coup de cœur » s’adresse à celles qui ont un budget RSE et qui ont envie de s’investir davantage, de soutenir les actions portées par les salariés. L’offre donne accès aux missions et cagnottes, plus à un abondement systématique. « Par mission et cagnotte soutenue, l’entreprise abonde systématiquement de 10/20/30… % la cagnotte », explique-t-elle. « Il n’y a pas de restes à charge 0, mais 10/20/30/40, etc. % selon le pourcentage reversé. » Cela étant dit, chaque entreprise est bien sûr libre de choisir l’offre de son choix.
La phase d’expérimentation étant terminée, les offres sont vouées à évoluer. Prochainement, l’offre « coup de pouce » pourrait donner accès à l’abondement si l’entreprise ne peut assister aux missions, mais veut quand même soutenir les cagnottes. De même, une fois le budget RSE de l’entreprise atteint, cette dernière passera de « coup de pouce » à « coup de main » automatiquement.
À long terme, l’équipe envisage de mettre en place une communauté de trugueurs. Les volontaires pourront ainsi interagir les uns avec les autres dans le cas où une mission se déroule sur plusieurs jours dans une ville différente de la leur, pour se loger sur place par exemple
D’ici quelques mois, Trug’Planet se détachera d’Artefacto afin de devenir une structure indépendante juridiquement et entamera sa phase de démarchage pour un déploiement régional, puis en fin d’année national. La mutualisation de temps n’existant pas ailleurs, l’équipe veut faire profiter toutes les associations reconnues d’intérêt général. Pour ce faire, Trug’Planet ne se cantonnera plus aux asso environnementales et s’ouvrir aux sociales. « La décision est toute récente, mais la transition écologique passe aussi par la transition sociale », conclut-t-elle.
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