Rennes. Opéra La Calisto ou la fécondation d’un monde en déclin

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opéra Calisto
La Calisto / Francesco Cavalli Opéra de Rennes Octobre 2025 Distribution Sébastien Daucé Direction musicale Jetske Mijnssen Mise en scène Ensemble Correspondances Avec Lauranne OlivaCalisto Paul-Antoine Bénos-Djian Endimione Milan Siljanov Giove/Giove-Diana Anna Bonitatibus Eternita/Giunone Giuseppina Bridelli Diana Zachary Wilder Linfea Bastien Rimondi Natura/Pane/Furia Dominic Sedgwick Mercurio Théo ImartDestino/Satirino/Furia José Coca-Loza Silvano/Furia

« Le monde se meurt et doit être à nouveau fécondé. » Cette phrase, qui condense à elle seule le fond de l’œuvre de Francesco Cavalli, trouve au fil de sa représentation mille développements et visages. Peut-on accéder à la vie éternelle ? Le monde des dieux est-il exempt d’imperfections ? Le désir est-il le seul moteur de nos existences ? Vaste programme… Et pourtant, impossible de ne pas y percevoir une résonance intemporelle, tant les interrogations de La Calisto semblent faites pour notre époque. La conclusion reste la même : « Le monde se meurt et doit être à nouveau fécondé. »

À Rennes, Cavalli n’est pas un inconnu. En novembre 2014, son opéra Elena avait déjà soulevé l’enthousiasme du public après des siècles de silence. C’est un peu le cas de La Calisto, œuvre qui, après un succès d’estime lors de sa création en 1651, fut ressuscitée en 1970 au Festival de Glyndebourne, où elle connut enfin une consécration méritée.

Le livret, signé Giovanni Faustini, puise son inspiration dans les célèbres Métamorphoses d’Ovide. L’intrigue, d’une apparente simplicité, est celle d’un éternel jeu de dupes : Jupiter, amoureux comme un adolescent de la belle et innocente Calisto, multiplie les ruses pour la séduire tout en échappant à la vindicte de son épouse, la redoutable Junon. Il souhaite offrir à la jeune nymphe la vie éternelle – mais rien n’est jamais simple. Autour d’eux gravitent une myriade de personnages, tous éperdus dans les tourments du désir et les illusions de l’amour.

Ce qui frappe et séduit, c’est l’absolue liberté de ton avec laquelle Cavalli et Faustini abordent la question de la sexualité, audace étonnante pour une œuvre du XVIIe siècle. L’évocation saphique, assumée, de la rencontre entre Calisto – l’éblouissante Lauranne Oliva – et Jupiter déguisé en Diane, crée à peine un trouble : elle révèle surtout la finesse psychologique d’un théâtre où le travestissement dévoile la vérité des êtres. Dans le rôle de la vraie Diane, Giuseppina Bridelli impose une présence scénique impétueuse et magnétique. Mais c’est Anna Bonitatibus (Junon) qui parvient le mieux à toucher au cœur : son grand solo sur la condition des femmes, plein d’amertume et de dignité, est un moment suspendu d’émotion pure.

Hommage soit rendu aux voix masculines : Paul-Antoine Bénos-Djian (Endimione) séduit par la souplesse et la chaleur de son timbre ; Milan Siljanos campe un Jupiter convaincant, même si ses imitations de voix féminine prêtent parfois à sourire. Quant à Dominic Sedgwick (Mercure), il incarne avec un plaisir évident ce personnage complice et cynique, digne fils de son divin libertin de père. Enfin, le quatuor formé par Zachary Wilder (Linféa), Bastien Rimondi (Natura), Théo Imart (Destino) et José Coca-Loza (Silvano) rivalise d’énergie et d’esprit : leur cohésion et leur vivacité sont un régal.

Mais la véritable magie vient de la fosse. Sous la direction inspirée de Sébastien Daucé, l’Ensemble Correspondances fait éclore toute la vitalité de la musique de Cavalli. Ce Rennais, formé par Jean-Michel Noël au sein de la Maîtrise de Bretagne, insuffle à chaque mesure une respiration, une grâce, une attention au détail qui rendent cette musique baroque à la fois rigoureuse et sensuelle. Sous sa baguette, le baroque retrouve sa splendeur : une distinction délicatement surannée, mais toujours vibrante de vie.

L’œil se réjouit autant que l’oreille. Le décor et les costumes signés Hannah Clarck sont d’une élégance rare : dans un intérieur de château aux murs lambrissés, une colonne centrale pivotante s’ouvre et se referme au gré des scènes, créant une fluidité scénique admirable. Cette scénographie, d’une beauté sobre, confère à l’ensemble un faste et une part de rêve trop souvent absents de nos productions contemporaines. L’opéra retrouve ici son sens premier : émerveiller et élever l’âme.

Cette coproduction de l’Opéra de Rennes, Angers Nantes Opéra, Théâtre des Champs-Élysées, Théâtre de Caen, Ensemble Correspondances, Opéra Grand Avignon et Théâtre de la Ville de Luxembourg s’engage désormais dans une tournée de deux ans. Elle portera haut le savoir-faire et l’exigence de notre maison, dont Matthieu Rietzler, directeur de l’Opéra de Rennes, est l’un des artisans les plus fervents. Si les trois heures et dix minutes de représentation ne vous effraient pas, il vous reste les 11 et 12 octobre (à 18 h et 16 h) pour découvrir cette œuvre baroque somptueuse et pleine d’esprit.

Privée de l’éternité, Calisto deviendra « une étoile brillante au firmament ». Mais cela, c’est déjà une autre histoire…

Photos : Laurent Guizard