Inutile de présenter Robert Badinter, n’est-ce pas ? Il incarne une immense part de notre conscience collective, une part parmi les plus belles, celle de faire ensemble société. Vivre, un récit inédit, vient d’être publié dans la collection INA des éditions Flammarion où il rejoint Simone Veil, Marceline Loridan-Ivens et Georges Kiejman. Robert Badinter entrera au Panthéon ce jeudi 9 octobre.
Ne vous attendez pas en feuilletant les premières pages de ce livre ou en découvrant les têtes de chapitres à des envolées dans le style de ses plaidoiries contre la peine de mort ou pour l’abrogation du délit d’homosexualité, combats qu’il aura portés, plus que tout autre, contre vents et marées. N’attendez pas non plus des révélations sur les coulisses du pouvoir ou ses tête-à-tête avec les grands de France et d’ailleurs qu’il aura pour certains accompagnés ou affrontés sur son chemin pour la justice.

Non, ce livre est beaucoup plus que tout cela. Une biographie certes, avec ce que ce genre d’exercice pour emporter les lecteurs suppose de pudeur, de franchise, d’intime, de doute et d’erreurs. Une écriture fluide, un style tout en retenue. Nul ne s’étonnera qu’il adopte un accent de vérité, car la vérité Robert Badinter en a fait son combat et sa loi. Nous le savons tous. C’est là qu’il touche juste, que profondément il nous touche. Il a aussi une mémoire incroyable des lieux, des gens, des émotions qu’il partage avec nous. Il peint ainsi une famille de petite bourgeoisie, ne s’accordant que la langue française à la maison malgré leur origine russe. Un père juif ashkénaze, farouchement républicain, pacifiste, socialiste à la Jaurès et à la Blum. Et une mère du « premier courage » quand il lui faudra faire face avec ses deux fils aux mauvais vents à venir.
Puis le choc à 11 ans, l’occupation de Paris et un temps chaque jour plus oppressant : ticket de rationnement, marché noir, attente de nouvelles des prisonniers, et bientôt pour eux, les juifs, la confiscation de biens et les rafles. Partir et tout abandonner ? Rester pour entendre les rires des vainqueurs ? Il suffisait de si peu pour que tout s’effondre. Une simple dénonciation d’un voisin opportuniste voulant s’approprier le logement ou des meubles. Son oncle, sa grand-mère sont ainsi arrêtés. Pour Robert et les siens, ce sera Lyon, en zone libre, le culte du Maréchal placardé partout sur les murs. Quelques mois après l’occupation de la zone sud, ce sera l’arrestation de son père et cette certitude voulue entre eux trois qu’il reviendrait. Dans cette profonde obscurité, il y eût Cognin ! Un village près de Chambéry où le silence valait protection. « Je dois à cet abri silencieux la vie ». De son adolescence cependant, il n’y aura pas que des jours sombres. Les études, les amis, les premiers amours, car, et malgré tout, la vie continuait.

Ces temps de guerre nous amènent à la moitié du volume et sa seconde partie appartient, sinon à la vie publique, à notre histoire à tous. Si certains épisodes nous sont familiers, comme le procès Eichmann et celui de Barbie, la bataille contre la peine de mort, le compagnonnage avec François Mitterrand, Robert Badinter ajoute à ce que nous en connaissons des anecdotes sur son vécu. Des jours de printemps, nous dit-il. Et d’autres de doute dans son incapacité à convaincre, lui, ministre puis président du Constitutionnel !
Ce livre nous fait un bien immense par la sérénité qui s’en dégage. Ce qu’il raconte, dans les moments heureux comme malheureux, représente aussi la vie filigranée de nos parents et de nos grands-parents. Nous le retrouvons fidèle à lui-même dans l’hommage appuyé rendu à « ceux qui aident les misérables à trouver du travail, à trouver un logement. Qui les abritent sans demander qui ils sont, comme ce fut notre cas […]. Il faut un réseau immense pour échapper à la traque ». Pour lui, à cette époque, et il l’affirme avec force, une France antisémite est pur mensonge.
Le ton de ce livre nous est donné dès ses premières phrases. « La vie est plus forte que la mort. » Il ne s’agit pas de perdre la mémoire, bien au contraire, mais de ne pas en être prisonnier. Et c’est face à Auschwitz qu’il nous lance alors un joyeux et grave, À la vie. Reprenons-le à notre compte ici pour conclure avec lui. À la vie.
Robert Badinter, Vivre, éditions Flammarion en coédition INA, 208 pages, 20€. Parution : 1er octobre 2025. Lire un extrait
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