Le chorégraphe Sylvain Riéjou, de l’association Cliché, revient au Triangle – Cité de la danse jeudi 28 avril 2022. Après un premier solo sur ses prises de tête artistiques, il livre Je rentre dans le droit chemin (qui comme tu le sais n’existe pas et qui par ailleurs n’est pas droit). Une pièce qui questionne la nudité sur scène et les clichés véhiculés à propos de la danse contemporaine. L’artiste associé du Triangle expose ses réponses avec humour et finesse pour un spectacle accessible.
Alberto Giacometti et Marcel Duchamp étaient de ces artistes qiu affirmaient que la création était un saut dans le vide. Depuis ses débuts en tant que chorégraphe, Sylvain Riéjou explore cette vérité pour tenter d’expliquer au public la réalité du processus créatif en un triptyque. « Le chemin de la création n’est pas un chemin rectiligne. On a une idée du spectacle, mais elle évolue pendant la création. On ne sait jamais ce que l’on va créer », confie-t-il dans un entretien accordé à Unidivers.
Après le one-man-show chorégraphique Mieux vaut partir d’un cliché que d’y arriver (2016), l’artiste associé du Triangle – Cité de la danse revient sur la scène du bâtiment rouge avec la conférence vidéo chorégraphique Je rentre dans le droit chemin (qui comme tu le sais n’existe pas et qui par ailleurs n’est pas droit), deuxième volet du triptyque autour des questionnements artistiques et des clichés véhiculés à propos de la danse. Dans ce nouveau solo, au long titre révélateur du cheminement de pensée du chorégraphe, il aborde la question de la nudité au plateau et les stéréotypes qui l’entourent.
Après des années en tant qu’interprète, Sylvain Riéjou a naturellement construit son parcours de chorégraphe autour de ces interrogations artistiques. « Lors des bords de plateau, quand on rencontre le public en fin de spectacle, j’étais surpris de voir les spectateurs étonnés du temps que peut mettre la création d’une pièce, entre trois et quatre mois pour une heure de spectacle », explique-t-il. Son expérience de pantomime à l’Opéra de Paris, durant laquelle il passait la majorité de son temps en coulisses, est un des éléments de sa carrière qui a également réveillé chez lui l’envie d’aborder le sujet du processus créatif de manière didactique. « J’essaie d’expliquer la recherche pour faire en sorte que le public soit plus touché au moment où je montre les danses. »
La danse contemporaine restant un art relativement abstrait pour la majorité, à l’image de l’art contemporain, Sylvain Riéjou cherche à amener le public dans la tête des chorégraphes dans le but de leur apprendre les codes de la danse pour mieux apprécier une chorégraphie. « Beaucoup se plaignent de ne pas comprendre les spectacles de danse alors qu’en soi il n’y a rien à comprendre », énonce-t-il. « Mais ce n’est pas si simple d’accepter de ne pas comprendre, il y a un œil à exercer. »
Et c’est par la porte de l’autobiographie que le chorégraphe a décidé d’approcher son public. En tant que lecteur ou spectateur, Sylvain Riéjou aime particulièrement les auteurs et autrices qui parlent d’eux ou d’elles dans leur intimité. « On peut toujours se retrouver dans le questionnement des autres », précise le danseur. C’est donc en parlant de lui qu’il tente de transmettre des émotions aux spectateurs dans le but de les toucher. « Dans ces moments-là, se montrer tel qu’on est n’est pas qu’autocentré, c’est aussi un acte de générosité. Se livrer sur un plateau de théâtre ce n’est pas chose facile. »
Dans Mieux vaut partir d’un cliché que d’y arriver, il partageait ses prises de tête avec humour et simplicité. Il expliquait avec pédagogie l’écriture d’un mouvement, son interprétation en fonction du rythme, de l’espace et de la musique. Il décomposait le mouvement pour amener le spectateur à comprendre la pensée du chorégraphe. Dans Je rentre dans le droit chemin, il s’empare cette fois de la question de la nudité et du cliché qui gravite autour des danseurs contemporains à ce sujet. « Quand je dis que je suis danseur contemporain, une des premières remarques est ‘tu dois te mettre à poil’. »
« Parler de la danse c’est déjà de la danse. »
Sylvain Riéjou propose ici une approche personnelle sans vouloir apporter une réponse universelle, chaque chorégraphe ayant une raison différente de montrer la nudité de ses interprètes : politique, symbolique, esthétique, etc. Il choisit de congédier les canons de beauté, certes habillés, et leurs positions vulgaires qui s’affichent dans les rues et sur les écrans. Devant la profusion d’images où les modèles se retrouvent dans des positions lascives, voire obscènes, il cherche à briser le tabou de la nudité en lui ôtant tout caractère pornographique.
Au corps sexualisé par la société, il rend son image esthétique. « Encore tout à l’heure, j’ai vu une affiche pour une pub de savon sur laquelle une fille se lèche l’épaule avec un regard vulgaire… Ce n’est pas choquant ; mais si je me mets nu en ne faisant rien du tout, tout le monde va crier au scandale… », s’indigne-t-il. « Je trouvais que la danse avait peut-être un rôle à jouer pour dissiper cette confusion entre nudité et pornographie. » Après tout, le corps n’est-il pas l’outil de travail du danseur ? La chorégraphe américaine Anna Halprin ne disait-elle pas « le corps du danseur est son instrument premier » ? Plutôt que de se demander pourquoi se mettre nu, la question pourrait ainsi être inversée. « Elle se posait plutôt la question de pourquoi danser habillé plus que nu. », précise-t-il avant de rajouter : « Merce Cunningham mettait les danseurs en académique (tenue ajustée et confortable, ndlr.) pour que l’on voie mieux le corps. Dans ces cas-là, pourquoi ne pas les mettre nu pour qu’on puisse encore mieux le voir ? »
Entre one-man-shows, conférence et chorégraphie, il travaille le texte comme une chorégraphie dans laquelle il intègre une dimension théâtrale et donne à voir des pièces accessibles à tous. « Il existe des points communs entre le stand up et la danse. Tout est une question de rythme. Dans un stand up, si le rythme n’est pas bon, les blagues retombent et c’est la même chose avec un mouvement. Le rythme permet donne l’effet touchant ou pas. » Contrairement au premier volet, Je rentre dans le droit chemin ne proposera cependant aucune narration. De la même manière, Sylvain Riéjou utilise la vidéo comme une image, un reflet de soi qui peut bouger indépendant du corps réel. Et conscient de la difficulté potentielle d’appréhender un corps nu, il choisit de l’utiliser comme un filtre pour montrer la nudité, tout en prévenant de multiples fois de son objectif final : se mettre nu. « Quand le moment arrive, j’avais envie que les gens se disent que ce n’était pas grand-chose, et qu’on puisse regarder le corps comme un objet esthétique et pas comme un objet sexualisé. »
Au delà de se montrer dans le plus simple appareil devant une salle remplie d’inconnus, il est également question de la mise à nu émotionnelle et de se montrer tel qu’on est. Pour cette raison, la vidéo se met petit à petit en retrait au profit du corps réel. « J’ai tendance à me cacher derrière la vidéo et comme je voulais montrer mon corps, ce solo est une manière aussi de me mettre à nu sans me cacher derrière elle », confie-t-il. « Dans notre société, des parties du corps sont considérées comme impudiques, mais c’est pareil pour les émotions. La tristesse va être moins valorisée que la joie », précise-t-il. Alors, Sylvain Riéjou a choisi d’utiliser le rire. « J’ai travaillé sur la chorégraphie d’un metteur en scène qui s’appelle Olivier Martin-Salvan. La pièce était très drôle, et ça m’a donné envie de m’essayer à cet exercice. » Par l’humour, le chorégraphe espère donner confiance au public afin qu’il puisse, s’il le désire, ouvrir d’autres vannes et se laisser aller aux émotions que peut provoquer un spectacle de danse.
Le triptyque raconte également son parcours de chorégraphe. Après un premier volet autour du chorégraphe despotique et un interprète soumis, la nudité dans la danse contemporaine, Sylvain Riéjou clôturera son triptyque en explorant la question du duo d’amour, un autre cliché. Je badine avec l’amour fera le parallèle entre la rencontre amoureuse et la rencontre entre un chorégraphe et un interprète, et révélera les liens entre les deux situations. Il proposera pour la première fois un quatuor au plateau. « Je me suis posé la question de réaliser une pièce avec d’autres gens. C’est une chose de se diriger soi-même, mais est-ce que je serais capable de transmettre des matériaux chorégraphiques à d’autres danseurs. Est-ce que je serais capable de gérer une équipe ? », interroge-t-il. Tant de questions dont nous aurons les réponses dans sa prochaine pièce. En attendant, il expliquera le concept de nudité au plateau sur celui du Triangle- Cité de la danse, jeudi 28 avril 2022.
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