À Belém, au cœur de l’Amazonie brésilienne, la COP30 voit émerger une proposition qui aurait semblé iconoclaste il y a encore quelques années : taxer les classes premium des compagnies aériennes – business et première – ainsi que les jets privés, au profit du financement de l’action climatique. Une coalition désormais forte de 13 pays, emmenée par la France, l’Espagne, le Kenya et plusieurs États africains (Nigeria, Djibouti, Soudan du Sud…), pousse cette idée simple : faire payer davantage les voyageurs au plus haut niveau d’émissions par passager-kilomètre.
Derrière cette mesure, un constat incontestable et porté par de nombreux chercheurs et ONG : le « luxe carbone » des ultra-mobiles représente une part disproportionnée des émissions mondiales, alors même qu’il bénéficie souvent d’exemptions fiscales et d’un traitement politique particulièrement indulgent.
Pour autant, ce débat n’arrive pas en terrain vierge. La France connaît déjà une taxe de ce type. La taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA), dite « taxe Chirac », a été instaurée en 2006 à l’initiative de Jacques Chirac et Lula. Prélevée sur tous les billets au départ de la France, avec un barème plus élevé en classe affaires, elle finance notamment UNITAID et la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
En une dizaine d’années, cette taxe a rapporté près d’un milliard d’euros. Elle a fait la preuve qu’une contribution sur les billets d’avion pouvait être techniquement simple à collecter, politiquement identifiable, et capable de financer des biens publics mondiaux. La France a d’ailleurs renforcé ce dispositif via une « éco-contribution » et des hausses de barème en 2020 puis 2025, tandis qu’une taxe spécifique sur les jets privés a été adoptée dans le budget 2025.
La nouveauté à la COP30, c’est le ciblage assumé du « luxury air travel ». Là où la taxe Chirac touchait tous les passagers, la « premium flyers levy » défendue à Belém veut concentrer l’effort sur les billets les plus chers et les jets privés. Continuité dans le principe, rupture dans le périmètre : on ne taxe plus la mobilité de base, mais le surcroît de confort et d’émissions.
Ce que la taxe est – et ce qu’elle n’est pas
Autour de cette taxe, plusieurs idées reçues circulent déjà. Quelques repères simples permettent de la resituer.
- Ce n’est pas une nouvelle taxe sur tous les passagers : les discussions à la COP30 portent bien sur les classes affaires/première et les jets privés. La classe économique reste soumise aux dispositifs existants, mais n’est pas visée par la coalition Belém.
- Ce n’est pas une lubie d’ONG : la proposition est portée par des gouvernements, soutenus par un travail juridique et fiscal de la Task Force sur les « solidarity levies ». Les ONG jouent un rôle de pression, mais l’instrument est avant tout intergouvernemental.
- Ce n’est pas un impôt contre les « pays pauvres » : au contraire, la plupart des membres de la coalition viennent du Sud global et défendent un principe de justice climatique : que les plus riches contributeurs en émissions financent l’adaptation des plus exposés.
- Ce n’est pas une baguette magique climatique : la mesure ne suffira ni à décarboner l’aviation ni à combler tous les besoins de financement. Mais elle peut générer plusieurs milliards d’euros par an et poser un jalon politique fort : l’impunité écologique des ultra-riches n’est plus tenable.
Les compagnies aériennes et l’IATA dénoncent une mesure « punitive » et potentiellement dangereuse pour la rentabilité des lignes. Reste que l’expérience de la taxe Chirac, de l’Air Passenger Duty britannique ou d’autres éco-contributions européennes montre que l’aviation n’a pas été « tuée » par la fiscalité, même si elle la conteste vigoureusement.
Un test politique pour la justice climatique
En réalité, la portée de cette taxe dépasse largement les couloirs des aéroports. Elle devient un test politique : les États sont-ils prêts à assumer une fiscalité explicitement tournée vers les plus riches, pour financer la protection des plus vulnérables ?
Après la santé mondiale avec la taxe Chirac, la COP30 propose de transposer la logique au climat : utiliser la circulation des plus aisés pour financer l’adaptation de celles et ceux qui ne prennent presque jamais l’avion. Si la coalition parvient à s’élargir et à stabiliser un mécanisme commun, Belém pourra être regardée, rétrospectivement, comme le moment où l’on a commencé à bousculer le « luxe carbone » plutôt qu’à le ménager.
