Dix ans de prison requis contre Boualem Sansal : comment le pouvoir algérien instrumentalise les salafistes pour masquer son échec politique

Boualem Sansal
Boualem Sansal

L’écrivain algérien Boualem Sansal, intellectuel reconnu et critique acerbe du régime d’Alger et de l’influence de l’Islamisme dans les sociétés modernes, risque une peine de dix ans de prison pour « atteinte à l’intégrité de l’État » requise par le parquet du tribunal correctionnel de Dar El Beida près d’Alger. Cette décision judiciaire s’inscrit dans un contexte plus large de répression des voix dissidentes sous la présidence d’Abdelmadjid Tebboune. Derrière cette offensive sécuritaire se cache une stratégie politique bien rodée : la montée en puissance des courants salafistes, encouragés tacitement par le pouvoir, afin de détourner l’attention du peuple de la crise économique, des aspirations démocratiques et de l’incapacité du corps politique à (re)créer une identité nationale.

Boualem Sansal, symbole d’une liberté d’expression réprimée

Boualem Sansal, âgé de 75 ans, est l’une des figures les plus marquantes de la littérature algérienne contemporaine. Ancien haut fonctionnaire, il a quitté l’administration après avoir dénoncé la corruption et la dérive autoritaire du régime. Son œuvre littéraire, traduite dans de nombreuses langues, critique sans détour la dictature militaire et l’islamisme politique.

Son arrestation en novembre 2024 a déclenché un tollé international. Depuis, plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, des écrivains et même des lauréats du prix Nobel ont exigé sa libération. Pourtant, la justice algérienne, instrumentalisée par le pouvoir, semble vouloir faire de lui un exemple pour intimider les intellectuels et étouffer toute voix dissidente.

La stratégie répressive du régime Tebboune rappelle celle utilisée lors du Hirak, le mouvement de contestation populaire de 2019. Des journalistes, des militants et des universitaires ont été arrêtés sous des prétextes similaires. Aujourd’hui, c’est au tour de Sansal de subir le courroux du pouvoir.

Le salafisme : un outil de contrôle social au service du pouvoir

Si le président Abdelmadjid Tebboune affiche une posture de modernisation, notamment en matière économique, son régime tolère – voire encourage – l’influence grandissante du salafisme en Algérie. Cette mouvance rigoriste de l’islam, historiquement marginalisée sous le régime militaire, s’est renforcée ces dernières années avec l’aval des autorités.

Le régime mise principalement sur le salafisme quiétiste, une doctrine apolitique qui prône l’obéissance aux gouvernants et rejette toute contestation sociale. Ce courant, très influent en Arabie Saoudite, sert de rempart contre les revendications démocratiques en Algérie. Une source interne au ministère des Affaires religieuses révélait en 2017 que plus d’un tiers des imams algériens étaient salafistes. Ce chiffre a vraisemblablement augmenté ces dernières années.

L’État favorise la construction de mosquées engagé dans ce discours et tolère la diffusion de prédications sur les réseaux sociaux qui appellent à l’acceptation passive des décisions gouvernementales. En encourageant ce mouvement, le pouvoir espère ainsi contenir toute révolte populaire en détournant la colère vers un repli religieux.

Un État en crise d’identité nationale

L’Algérie post-indépendance n’a jamais réussi à construire un discours national rassembleur, principalement en raison du traumatisme non digéré de la guerre civile des années 1990 entre islamistes et anti-islamistes. Ce conflit sanglant, qui a fait plus de 200 000 morts, demeure un tabou dans l’histoire officielle et empêche toute réconciliation véritable.

Ce refoulement est illustré dans le roman Houris de Boualem Sansal où l’auteur explore les méandres d’une société algérienne fracturée, incapable d’assumer ses plaies historiques. La mémoire de cette guerre est instrumentalisée à des fins politiques, chaque camp accusant l’autre d’avoir trahi la nation, empêchant ainsi l’émergence d’une identité nationale unificatrice.

En réalité, le pouvoir algérien s’est maintenu en exploitant cette fracture, en oscillant entre une répression brutale des courants islamistes radicaux et une tolérance opportuniste envers le salafisme quiétiste. L’État utilise l’islamisme comme un levier de contrôle social, tout en réprimant toute idéologie qui menacerait directement son autorité. Ainsi, la réhabilitation partielle de figures islamistes et la promotion d’un islam d’État servent davantage à neutraliser l’opposition qu’à résoudre les tensions profondes de la société.

Cet échec à élaborer un récit national cohérent se reflète aussi dans l’inconstance des politiques éducatives et culturelles. Entre arabisation forcée, exclusion des courants de pensée pluralistes et censure des intellectuels critiques, l’Algérie peine à produire une vision de son avenir qui dépasse les logiques de pouvoir. Le cas de Boualem Sansal illustre parfaitement cette incapacité à accepter un débat libre sur les vérités douloureuses du pays. Tant que l’Algérie refusera d’affronter son passé récent et de réconcilier ses différentes composantes idéologiques, elle restera prisonnière d’un cycle d’instabilité et d’autoritarisme.

Un pouvoir fragilisé par son échec économique

L’Algérie connaît une situation économique inquiétante : chômage des jeunes en hausse, inflation galopante et fuite des capitaux. Pire, l’Algérie indépendante actuelle accuse une grace incapacité à créer un sens et une identité nationale.

En réponse à ces défis, le gouvernement ne propose pas de réformes structurelles, refuse de mettre la situation à plat pour récréer une identité collective, mais préfére détourner l’attention du peuple. En favorisant l’essor du salafisme, il canalise la frustration populaire vers une religiosité qui décourage toute contestation.

Ainsi, au lieu de manifester contre le régime, les citoyens sont invités à se focaliser sur la moralisation de la société, la purification de l’islam ou encore le rejet des influences occidentales. Cette stratégie, déjà utilisée dans d’autres pays autoritaires, empêche l’émergence d’une opposition politique organisée.

Malgré les promesses de diversification économique, l’Algérie reste dépendante des hydrocarbures, qui représentent encore 93 % des exportations nationales. Les tentatives d’industrialisation et de relance du secteur agricole ont échoué en raison du manque de réformes structurelles et de la bureaucratie pesante.

Certes, les exportations hors hydrocarbures ont triplé depuis 2019, qui atteind 5 milliards de dollars en 2023, mais elles concernent principalement des produits dérivés du gaz et du pétrole (sidérurgie, engrais, dérivés pétrochimiques). L’Algérie peine toujours à attirer les investissements étrangers en raison de son instabilité politique et juridique.

Les jeunes Algériens, qui représentent une grande partie de la population, sont les premiers à souffrir de cette crise. Faute de perspectives, de nombreux diplômés et travailleurs qualifiés préfèrent quitter le pays. Le phénomène des « harraga » (migrants clandestins) s’est d’ailleurs intensifié depuis 2020.

Devant cette réalité, le régime Tebboune n’offre aucune réponse concrète. Les tentatives de réformes restent superficielles et ne s’attaquent jamais aux véritables causes du malaise.

Une démocratie de façade : entre répression et simulacre électoral

La réélection d’Abdelmadjid Tebboune en septembre 2024, avec 94,65 % des voix, illustre le verrouillage total du système politique algérien. Ce scrutin, marqué par une abstention massive et des accusations de fraudes, a renforcé le sentiment de défiance de la population envers ses dirigeants.

Depuis 2019, le régime a multiplié les arrestations de militants, d’opposants politiques et de journalistes. Des lois liberticides, sous couvert de lutte contre la cybercriminalité et la désinformation, ont été adoptées pour justifier ces poursuites. Boualem Sansal s’inscrit dans cette logique de répression qui vise à museler toute critique du pouvoir.

L’opposition politique algérienne est réduite à néant. Les partis traditionnels sont discrédités, et les nouvelles formations peinent à émerger en raison des entraves administratives et des menaces qui pèse sur leurs dirigeants. La société civile, autrefois dynamique grâce au hirak (opposition au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika et de son régime), est aujourd’hui étouffée par la répression.

Victime expiatoire et stratégie risquée

10 ans de prison contre Boualem Sansal, c’est un cadeau fait par l’Etat algérien au courant islamiste sous forme de victime expiatoire. En condamnant Boualem Sansal et en favorisant l’essor du salafisme, le régime algérien joue une carte risquée. Si cette stratégie lui permet de maintenir un certain contrôle à court terme, elle devrait se retourner contre lui à moyen terme. L’histoire a montré que l’instrumentalisation de l’islamisme par des régimes autoritaires finit souvent par leur échapper… De plus, la crise économique et sociale qui secoue l’Algérie est loin d’être résolue. L’absence de réformes structurelles et la répression croissante est susceptible d’alimenter de nouvelles vagues de contestation. Le peuple algérien, qui a déjà démontré sa capacité à se mobiliser en 2019, pourrait à nouveau se soulever pour revendiquer ses droits et sa liberté. Va-t-on vers un réveil du peuple algérien, qui est à la fois le plus diplômé et le plus attaché à l’idéal de Liberté de tous les pays du Maghreb, ou vers des années de plomb vert en Algérie ?