Dans Cargo noir Thibault Delort Laval situe son roman entre l’histoire et la littérature maritime. Stralsund, 1990, bord de la Baltique, atmosphère de fin d’Empire : la RDA et les républiques communistes se délitent… Avec Cargo noir, publié aux éditions Ancre de Marine, Thibault Delort Laval entraîne son lecteur vers des latitudes sombres et sublimes. Une belle réussite de cette rentrée littéraire 2016 !
Le port bien protégé de la houle abrite quelques unités de la Volksmarine que les gars du coin s’évertuent à appeler « Kriegsmarine » plus par habitude que nostalgie de l’époque nazie. S’y trouvent aussi trois cargos de la RDA aux noms qui fleurent bon le spartakisme à savoir Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht et Hugo Eberlein : ce dernier échappera aux corps francs pour mourir plus tard dans un goulag. Chaque cargo est peint d’une couleur différente : l’Hugo Eberlein est en noir.
Apparaît Armand Astarède, Lieutenant de vaisseau (« Kaleunt » dans l’argot de la marine de guerre allemande et plus particulièrement chez les sous-mariniers, une abréviation de Kapitänleutnant), missionné par les autorités militaires françaises d’occupation de Berlin pour écouler quelques devises surnuméraires qui risquerait de poser question dans un avenir proche compte tenu de la chute du mur qui à priori clôt la guerre froide et donc tous les « coups tordus » afférents qui nécessitaient jusque-là des fonds « discrets ». En RDA et dans tout l’Empire soviétique, le Capital reprend ses droits, des apprentis oligarques et autres trafiquants montrent leur nez, tout et sans doute tous sont à vendre. De lui on saura peu, qu’il est sans doute proche des « Services », a joué de la Kalachnikov du côté du Lac Assal (Djibouti) et qu’il connaît les ficelles de la Mer, des ports et des bateaux. Astarède veut acheter un de ces cargos qui ont connu déjà plusieurs vies sous plusieurs drapeaux et se verrait bien en prendre le commandement. Impliqué malgré lui dans un pseudo meurtre, il sera mis en contact avec des apparatchiks qui souhaitent son concours pour faire sortir de RDA des matières rares et commercialisables sous toutes les latitudes.
Pour Astarède c’est l’occasion de prendre un peu le large au propre et au figuré, lui qui vient de déposer auprès de son autorité militaire une demande de mise en disponibilité. D’où toute une suite d’aventures mêlant une jolie blonde du « Premier cercle » communiste et une femme plus mûre qui cherche à échapper à une vie ennuyeuse et incertaine pour rejoindre sa famille exilée en 1945 au Venezuela et aussi quelques fonctionnaires bon teint façon Stasi. Il y a un peu de Tintin, par sa capacité à se défiler des situations difficiles, chez Astarède et ce cargo très clandestin, immatriculé aux Kerguelen après un passage à Brest et qui roule en eaux troubles n’est pas sans rappeler celui de « Coke en Stock », autre album du célèbre petit reporter. Et pour poursuivre dans la même veine, le voyage nous emmènera sous les Tropiques et passera à proximité de Rackham Caye, ilot ou fut exposé le corps supplicié du pirate Calicot Jack dit aussi Rackham Le Rouge autre inspirateur d’Hergé.
Lire ce livre est agréable grâce à la manière dont l’auteur parle des bateaux, des marins et du long cours : ce n’est pas que de la connaissance il y a aussi derrière ces lignes beaucoup d’expérience. Ce qui est bien normal pour un ancien « Navalais » de père en fils… On souhaite que le style des prochains livres s’épure juste un peu, mais la matière est là et on retrouvera avec plaisir ce conteur sous d’autres latitudes pour d’autres livres.