Le Chant des Asturies, une histoire dessinée par Alfonso Zapico

Avec le premier tome du Chant des Asturies, le dessinateur espagnol francophone Alfonso Zapico signe le début d’une fresque historique incarnée. Dans une vallée des Asturies en 1934 s’affrontent ouvriers et patrons dans une Révolution qui sonne comme les prémices d’une guerre civile. Magnifique.

L’Espagne n’en finit pas d’interroger sa dernière guerre civile et l’avènement du franquisme. Javier Cercas et ses romans policier ou historique, Antonio Altarriba et sa BD exceptionnelle, L’Art de voler (Denoël Graphic). L’auteur y rendait un hommage à son père en mettant en perspective l’Histoire de son pays, racontent à leur manière, ce moment de fracture de la société ibérique qui marque encore les générations actuelles. On ne peut ignorer ces textes ou dessins quand on commence la lecture de cette grande fresque historique en quatre volumes, Le Chant des Asturies, dont on dit qu’elle est un immense succès de l’autre côté des Pyrénées, succès que l’on peut souhaiter identique en France.

Le chant des Asturies BD Alfonso Zapico
© Alain François

Alfonso Zapico est natif des Asturies, cette région au nord-ouest de l’Espagne, entre mer et montagne avec comme capitale Oviedo. S’il ne met pas en scène un membre de sa famille comme Altarriba, on devine qu’il évoque des faits et des personnages réels qui lui ont été racontés lorsqu’il était enfant ou devenu adulte. C’est une région qu’il décrit, des modes de vie, une période politique intense, instable et une révolte qui gronde. Nous sommes en 1934 et la situation politique espagnole est anarchique. Alternance des partis au pouvoir, alliance gouvernementale contre nature, résultats d’élection contradictoires, le chaos institutionnel règne dans cette deuxième république espagnole et un mot d’ordre s’égrène dans les rédactions de journaux partisans, dans les bistrots de campagne, dans les galeries des mines de la région : révolution. Un mot qui claque comme un interrupteur, un claquement de doigts. Une fin en soi, sans définition, sans programme. La promesse d’un avenir meilleur. À inventer.

À travers deux personnages, l’auteur nous donne à voir deux univers qui s’affrontent. Tristan Valdivia, journaliste sympathisant des milieux ouvriers, rentre en Asturies chez son père dit « le Marquis », propriétaire des mines et symbole du capitalisme industriel. Apolonio est mineur, loyal à la compagnie, il va peu à peu ouvrir les yeux sur les injustices, les violences, les brimades du monde patronal. Il va rejoindre alors les rangs des syndicalistes, désunis et sectaires, comprenant qu’« on ne pouvait pas mourir de faim en silence, avoir honte face à sa propre famille ou mourir dans un puits les yeux fermés »

L’Histoire d’un moment et d’un lieu, ferments d’une révolution locale, se conjugue ainsi dans une remarquable fluidité avec des destins familiaux touchants. Les rapports de classe, de domination sociale, d’incompréhension mutuelle sont personnifiés dans des silhouettes, des visages auxquels Zapico donne une force extraordinaire par l’épaisseur du trait et les gros plans saisissants. À côté d’ingénieurs, de patrons, cyniques et odieux, vivent des êtres pleins de contradictions mais terriblement humains. Patriarche vitupérant, on a envie de prendre dans nos bras Apolonio qui, au-delà de sa colère permanente, cache une tendresse émouvante sur laquelle notre regard s’attarde.

Rarement l’expression « roman graphique » n’a autant mérité son nom. Le scénario et les dialogues nombreux et riches racontent l’Histoire et l’histoire dans toute leur diversité. Le dessin remarquable accompagne, et on l’aime ce dessin quand il prend toute la place, occultant l’écrit. Les pages silencieuses de douleur ou d’amour disent tellement mieux que les mots. Le noir et blanc est l’instrument parfait du récit. Accroissant les effets dramatiques, il évite la dispersion et le superflu. L’essentiel sont les hommes et les femmes, le travail et le pouvoir de l’argent. 

Des intermèdes rythment l’album. D’abord des unes de journaux qui rappellent par leurs titres la situation politique et les débats d’opinion. Comme si cette violence des mots était trop forte, des poèmes ou des phrases d’auteurs russes qu’éditait Tristan à Madrid, tempèrent l’actualité et donnent des sujets de méditation. La littérature telle un contrepoids à la noirceur du monde.

Même s’il prend partie et choisit son camp, Zapico au-delà de cet épisode circonscrit géographiquement, donne à voir une vision universelle des rapports de classe. Les conditions de travail et d’avilissement dans les mines des Asturies ne devaient guère être différentes de celles des mines du Nord de la France. On pense à Zola et à Germinal dans les cases calfeutrées du fond de la mine.

Quatre volumes sont prévus et c’est tant mieux. L’auteur peut installer durablement ses personnages et son histoire tout au long des 1000 pages de l’ensemble. Une attente impatiente de la suite comme dans un feuilleton mais un feuilleton où tout sonne vrai pour une population ouvrière maîtresse de « cet instant qui conduirait la victoire ou au désastre ». Et dont on connaît malheureusement la fin. 

Le chant des Asturies BD Alfonso Zapico

Le Chant des Asturies d’Alfonso Zapico. Tome 1. Éditions Futuropolis. 2023. 224 pages. 26€. Le tome 2 paraît le 21 juin. Les tomes 3 et 4 paraîtront en 2024. 

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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