Comme l’éditeur ne manque pas de le souligner, avec Charlotte David Foenkinos, l’auteur de la Délicatesse, a pris un virage à angle droit. Voilà un roman grave et profond bien loin de cette finesse peu consistante dont certains l’accusent. Charlotte est-il le roman de la maturité ?
Pendant des années, j’ai pris des notes.
J’ai cité ou évoqué Charlotte dans plusieurs de mes romans.
J’ai tenté d’écrire ce livre tant de fois.
Entre chaque roman, j’ai voulu l’écrire.
Mais je ne savais pas comment faire.
Devais-je être présent ?
Devais-je romancer son histoire ?
Quelle forme cela devait-il prendre ?
Je n’arrivais pas à écrire deux phrases de suite.
Alors, je me suis dit qu’il fallait l’écrire comme ça.
De fait, Charlotte raconte la vie d’une peintre allemande morte à d’Auschwitz. Pire, l’héroïne a été gazée à 26 ans enceinte. Pire encore, son destin d’immense artiste était assuré à en croire les centaines de dessins exécutés entre 1940 et 1942 à l’auberge La Belle Aurore de Saint-Jean-Cap-Ferrat. Un jour de 1943, Charlotte Salomon a achevé une dernière gouache et laissé un ensemble de peintures, de textes et de partitions musicales. Cette œuvre unique où elle raconte sa vie et l’Allemagne, elle l’a appelé Vie ou Théâtre ? À Nice, elle est dénoncée et arrêtée par une raclure dénommée Alois Brunner.
Au regard de ce décor funeste, il convenait que David Foenkinos manifestât beaucoup de finesse afin d’éviter le cliché et l’émotion à deux euros. En pratique, l’auteur, installé et reconnu dans un certain style, tente de partir ailleurs, de grandir. Sans doute afin de prouver qu’il a atteint une certaine maturité. Malheureusement, l’intérêt et le style de Charlotte en pâtissent cruellement.
L’écriture se veut abordable, au service d’une vive émotion diffusée au plus grand nombre de lecteurs. Monnaie de la pièce, le style devient insipide, simpliste, voire naïf. Une sorte de poésie en prose sans supplément d’âme et au lyrisme convenu. La succession de courtes phrases sans ambition est soporifique malgré un personnage principal bien campé. Quelle platitude dans cette manière anémiée de brosser une femme si belle, si délicate, si envoutante, si talentueuse, si prometteuse !
Quant à l’intervention de l’auteur dans le récit à travers la première personne du singulier, elle est maladroite, notamment dans le passage où il décrit sa découverte des œuvres de la regrettée artiste. « Le sentiment immédiat d’avoir enfin trouvé ce que je cherchais. » Dans un musée d’Amsterdam, ce fut une vraie révélation du génie allemand : « Tout était là dans un éclat de couleurs vives. » Foenkinos dès lors remonte le temps et marche sur les traces de Charlotte Salomon : « Me voilà en extase devant le mur d’une chambre défraîchie ». Mouais…
Alors que beaucoup s’extasient à la lecture de ce 12e roman de David Foenkinos, Charlotte est insipide malgré son ambition peut-être sincère. Et puis, certains trouveront inélégant que David Foenkinos trouve à se composer une maturité artificielle à travers une vie et un destin brisés dans un camp d’extermination.