Auteur prolifique, Alexis Tolstoï mérite d’être lu ou relu. Citons la trilogie Le Chemin Des Tourments, composée de Les Sœurs (1921-1922), L’An dix-huit (1927-1928) et Sombre Matin (1940-1941). Dans cette série publiée la première fois en 1954, l’auteur a laissé en héritage l’un des livres les plus importants de l’URSS naissante, que les éditions Louison réédite en 2018.
Le comte Alexis Nikolaïevitch Tolstoï (1882-1945) est un écrivain russe, issu d’une branche cadette des comtes Tolstoï et donc lointain parent de l’immense écrivain Léon Tolstoï mais aussi par sa mère, l’écrivaine Alexandra Bostrom née Tourguenieva, d’un autre écrivain russe Ivan Tourgueniev.
Ce qui marque chez cet auteur outre sa grande production littéraire très originale, c’est le fait qu’il a mené une existence et une carrière des plus tranquilles, échappant aux purges, pendant toute la période stalinienne sans avoir été inquiété d’une quelconque manière quant à son origine sociale ou d’avoir fuit la Russie au moment de la guerre civile. Le premier roman de la trilogie Le Chemin des tourments – Les Sœurs – débute en 1914 à Saint-Pétersbourg et décrit les amours contrariés de deux sœurs, membres de la bourgeoisie éclairée russe. Les sœurs Dacha et Katia Boulavine, originaires de Samara, sont amoureuses du même homme, le poète décadent Bessonov. Katia trompe son mari, l’avocat Smokovnikov qui, lui-même, a une liaison. D’autres personnages apparaissent, en particulier un curieux groupe qui réside dans un appartement qui préfigure les appartements communautaires de la période soviétique, et dont l’inspiration intellectuelle et poétique n’est pas sans évoquer les futuristes ou ceux que l’on retrouvera auprès du poète Essénine. Quelque temps plus tard, Dacha tombe amoureuse d’Ivan Téléguine, ingénieur au chantier naval, membre de ce curieux phalanstère et lui-même est en contact de par son travail avec des membres du prolétariat péterbourgeois qui commence à se structurer dans le contexte de la guerre et des défaites sanglantes qui s’accumulent. Au départ ces milieux bourgeois souhaitent un changement de régime, de type parlementaire, sans imaginer que la réalité sera bien plus violente. Dans les tourments d’Octobre, Katia perd son mari. Quelque temps plus tard, elle rencontre l’officier Vadim Rochtchine qui lui-même en est épris. Les hasards de la guerre et de la révolution en marche dispersent les quatre protagonistes dans différents parties du pays et les chassés croisés et les rendez vous manqués s’accumuleront. Le roman montre progressivement les prises de conscience politique de chacun d’eux. Les deux sœurs, malgré le tourment de la séparation, trouveront petit à petit leur voie dans la Révolution. Un tel ayant échappé à la captivité, rejoindra l’Armée Rouge tandis que l’autre confronté à la réalité du camp des blancs trouvera la juste voie.
Une partie du roman se passe autour du siège de Tsaristsyne, violemment disputée par les deux camps et ou s’llustra selon la légende un certain Joseph Staline. Le récit épique s’inscrit dans un rythme soutenu. On pense bien sur à des écrivains comme Cholokhov et son Don paisible ou Isaac Babel et sa Cavalerie rouge, mais il y a par le débat moral des personnages quelque chose de Guerre et Paix du grand Tolstoï, mais aussi par la célébration du courage des combattants une parenté avec le futur roman de Vassili Grossman Vie et destin qui se passe aussi à Tsaritsyne devenu alors Stalingrad.
Auteur prolifique, on citera L’Hyperboloïde de l’ingénieur Garine ou Ibycus, Alexis Tolstoï mérite d’être relu et l’on peut encore s’interroger sur ce qui l’a curieusement incité, au sortir de la Guerre civile, à revenir dans son pays pour se mettre de facto au service du pouvoir soviétique : est–ce le mal du pays ? ou encore la tragédie mesquine de l’émigration russe qui lui fit peur ?
Le Chemin Des Tourments – Trilogie – Alexis Tolstoï, Louison édition, 2018, 27€
