David Hockney demeure une figure inépuisable de la modernité. À 87 ans, l’artiste britannique, qui réside une partie de l’année dans le pays d’Auge en Normandie, fait l’objet d’une vaste rétrospective à la Fondation Louis Vuitton, intitulée David Hockney – 25. L’exposition, qui se tient du 9 avril au 31 août 2025, embrasse un quart de siècle de création, depuis les dernières expérimentations photographiques du tournant du millénaire jusqu’aux tableaux numériques réalisés sur iPad durant le confinement. Une traversée pleine de curieuse vitalité pour le monde visible.
S’il est un fil rouge dans l’œuvre de Hockney, c’est la recherche d’un regard. Refusant tout repli nostalgique, l’artiste n’a cessé de renouveler sa manière de voir et de représenter, explorant aussi bien la peinture à l’huile que le dessin numérique, la photographie composite, la fresque immersive ou les installations vidéo.
La scénographie de la Fondation Louis Vuitton épouse cette dynamique : elle est fluide, panoramique, presque narrative. Le visiteur est convié à une promenade visuelle dans l’univers de Hockney, où chaque salle dialogue avec la précédente. De la Californie solaire de A Bigger Splash aux campagnes anglaises de Bridlington, des forêts normandes à la tapisserie numérique, l’espace s’élargit à mesure que le temps se déplie.
Le paysage comme espace intérieur
La section centrale, consacrée aux grands paysages réalisés depuis les années 2000, impose une vision singulière du monde. Hockney s’y affranchit des lois de la perspective linéaire au profit d’un espace plus mental que géométrique, où la simultanéité des points de vue restitue l’expérience réelle de la déambulation. Inspiré tant par la peinture chinoise que par les vitraux gothiques ou les rouleaux japonais, il compose des panoramas mouvants, déployés sur plusieurs panneaux ou sur écrans LED.
Dans A Year in Normandie (2020-2021), fresque de 90 mètres, le paysage devient temporalité pure : une frise de saisons, un défilement de couleurs, une méditation sur la beauté fugace du vivant.
La peinture numérique comme art du geste
Hockney ne craint pas la technologie : il l’intègre. Sur ses iPads, il dessine comme d’autres respirent – par élans, par touches, dans l’urgence et la jubilation. Les iPad drawings réalisés en confinement ont la fraîcheur de croquis d’enfance et la précision des herbiers savants. Fleurs en pot, arbres, tables du matin, rideaux ouverts : tout est sujet à émerveillement.
Ces œuvres numériques, projetées en grand format ou présentées sur écrans, témoignent d’une picturalité persistante. Le pixel n’efface pas le pinceau : il le prolonge. Hockney y retrouve, paradoxalement, la spontanéité du dessin à main levée, la vitesse du trait, la vérité du moment. Une leçon de liberté.
Voir et faire voir
Ce qui bouleverse dans cette rétrospective, ce n’est pas seulement la densité d’une œuvre ou l’énergie d’un vieil homme resté jeune. C’est cette capacité rare à voir encore, et à nous apprendre à voir mieux. À travers les portraits de ses amis, les scènes de jardin, les escaliers familiers, c’est une poétique du quotidien qui se déploie. Une invitation, obstinée et généreuse, à prendre part à la beauté du réel.
Dans une époque saturée d’images mais appauvrie de vision, Hockney trace une autre voie : celle de l’intensité, de la lumière, de l’instant présent. Il ne peint pas le monde : il nous y rend sensibles.
Informations pratiques : Exposition : David Hockney – 25 ; Dates : du 9 avril au 31 août 2025 ; Lieu : Fondation Louis Vuitton, 8 avenue du Mahatma Gandhi, 75116 Paris ; Accès : navette dédiée depuis la place Charles-de-Gaulle – Étoile ; métro ligne 1 (station Les Sablons) ; Commissariat : Didier Ottinger (adjoint au directeur du MNAM – Centre Pompidou) ; Horaires : Lundi, mercredi, jeudi : 11h – 20h ; Vendredi : 11h – 23h ; Samedi, dimanche : 10h – 20h ; Fermée le mardi ; Tarifs : ; Plein tarif : 16 € ; Tarif réduit : 10 € (étudiants, jeunes, artistes affiliés à la Maison des artistes) ; Gratuit pour les moins de 3 ans et les bénéficiaires de minima sociaux
FOCUS — A Year in Normandie
Une fresque des saisons, entre digital et peinture lettrée
Conçue entre 2020 et 2021 dans le calme de sa maison normande, A Year in Normandie est sans doute l’œuvre la plus emblématique de la dernière décennie de David Hockney. Cette frise monumentale de plus de 90 mètres de long a été réalisée sur iPad, à raison de dessins quotidiens recomposés ensuite en un rouleau numérique inspiré des rouleaux japonais d’époque Edo, des tapisseries médiévales, mais aussi des cycles du paysage dans l’art chinois classique.
L’artiste s’inscrit ici dans une tradition picturale ancestrale, qu’il transpose dans un langage numérique fluide, vibrant, tactile. La forme de la frise permet à Hockney de rendre sensible le passage du temps, non par le récit, mais par la variation chromatique des feuillages, la lumière changeante, la métamorphose du ciel et des sols.
Présentée dans une salle immersive à la Fondation Louis Vuitton, l’œuvre défile lentement devant les visiteurs, comme une expérience de durée. Elle ne se regarde pas, elle se traverse. C’est une peinture qui respire, qui avance au rythme du regard, une forme méditative de contemplation.
Par ce projet, Hockney réinvente le paysage non pas comme une image figée, mais comme un processus continu de perception. Il fait du numérique non une fin, mais un outil pour restituer la vie d’un lieu, dans sa répétition quotidienne, sa modestie, sa splendeur silencieuse. A Year in Normandie est une ode à l’attention : celle qu’un peintre de 87 ans porte encore, chaque matin, aux nuances d’un arbre, au surgissement d’un oiseau, à la lumière sur un mur
BIOGRAPHIE — David Hockney, l’œil inlassable
David Hockney est né le 9 juillet 1937 à Bradford, dans le Yorkshire, au nord de l’Angleterre. Formé au Royal College of Art de Londres, il s’impose dès les années 1960 comme l’une des figures majeures du pop art britannique, tout en s’en démarquant rapidement par une approche plus introspective et sensuelle.
Installé dès 1964 à Los Angeles, il devient l’un des grands peintres de la lumière californienne, avec ses piscines célèbres (A Bigger Splash, 1967), ses portraits à la précision quasi photographique (Mr and Mrs Clark and Percy, 1970-71), et ses paysages aux aplats colorés et aux lignes nettes.
Tout au long de sa carrière, Hockney n’a cessé d’expérimenter : collages photographiques, recherches sur la perspective inversée, dessin sur iPhone et iPad, vidéos immersives, vitraux numériques pour l’abbaye de Westminster. Son œuvre, à la croisée de la peinture classique, de la technologie contemporaine et de l’exploration perceptive, témoigne d’une curiosité inextinguible et d’une joie de peindre sans cesse renouvelée.
Il vit aujourd’hui entre la Normandie, où il trouve une paix propice à la création, et l’Angleterre. Son influence est considérable sur plusieurs générations d’artistes, et ses œuvres figurent dans les plus grandes collections du monde. En 2018, son Portrait of an Artist (Pool with Two Figures) est devenu l’une des toiles les plus chères jamais vendues pour un artiste vivant.
À 87 ans, Hockney continue de peindre, de dessiner, de surprendre – et de voir.