Palme d’Or au festival de Cannes, le nouveau film de Jacques Audiard Dheepan divise et attise les polémiques… Dans un climat tendu, que dit, que peut dire le cinéma du réel et des sensibilités souvent imperceptibles par le réel ?
Les Tamouls, peuplade de l’Inde du Sud et de Ceylan, à majorité hindouiste, s’est fait connaître à partir des années 80 par la revendication de sa minorité résidante au Sri Lanka, victime de discriminations sociales, à obtenir un état autonome dans le Nord de l’île ; s’ensuivit une guerre terrible menée par les Tigres de libération de l’Îlam Tamoul contre le pouvoir cinghalais jusqu’en 2009 où ils déposèrent les armes après trois décennies de violence, dont des centaines d’attentats suicides et même de batailles navales entre belligérants qui firent plus de 70 000 morts. La fuite hors de Ceylan fut souvent la seule solution pour les anciens combattants tamouls et leurs familles. Il existe en effet une importante diaspora tamoule dans le monde entier, gage d’un minimum de soutien aux nouveaux arrivants. Avec les ressortissants de nos emblématiques comptoirs de l’Inde (Pondichéry, Mahé, etc.), ceux revenus des anciennes colonies ou installés dans les DOM-TOM, ces réfugiés constituent la troisième vague arrivée sur le territoire français.
Dheepan, qui est le nom d’un des héros de ce film, retrace l’arrivée d’une famille improbable dans la banlieue parisienne. Famille improbable, car constituée dans l’urgence, sous une fausse identité, pour obtenir un statut de réfugié et fuir le Sri Lanka à destination de l’Europe.
D’abord, il y a Deephan le « père » (Antonytha Jesusthasan), ancien guerrier tamoul défait qui a vu périr tous ses proches et toutes ses illusions, puis Yalini, la « mère » (Kalieaswari Srinivasari) dont on ne saura rien sinon qu’à 26 ans elle n’est pas mariée et qu’elle espère rejoindre sa cousine en Grande-Bretagne et enfin Ilayaal (Claudine Vinasithamby), orpheline, que Yalini récupère auprès d’une tante trop heureuse d’être soulagée d’un fardeau. Ce trio « recomposé » arrive en France, obtient le statut de réfugié politique et atterrit en banlieue ou Deephan obtient un emploi de gardien d’immeuble. Petit à petit, tout s’organise entre les travaux d’entretien, la scolarité d’llayaal et une vie familiale de façade ou petit à petit, malgré les difficultés, chacun se rapproche de l’autre même si Yalini ne renonce pas à son rêve d’outre-Manche. La cité où ils résident ressemble à certaines de nos banlieues, mélange d’immigrés des premières générations soumis à une omerta communautaire et de plus ou moins gros trafiquants de drogues entourés de leur garde prétorienne de petits malfrats qui ne connaîtront d’autres horizons que la cité ou la prison. Vivre ici c’est survivre ; donc, ne rien voir, entendre ou dire.
Deephan s’acclimate, remet l’immeuble en état, transforme peu à peu la loge du gardien en logis « propret ». Ilayaal progresse à l’école et Yalini ronge son frein en s’occupant d’un homme âgé et malade, père du petit caïd local, Brahim, joué par Vincent Rottiers, belle gueule (de l’emploi) de marlou qu’on reverra avec plaisir sur grand écran. Si ce n’est pas le bonheur, c’est au moins une certaine sécurité. Deephan finit peu à peu d’enterrer ses morts : la scène où il construit un petit temple votif en souvenir de ses proches disparus est touchante. Puis soudain tout bascule : un conflit armé entre bandes rivales (belle scène de chevauchée en moto où Audiard frise une fois de plus avec l’onirisme) conduit Deephan à la confrontation avec les malfrats locaux pour imposer son territoire hors des conflits locaux, sa « no fire zone ». Dès lors, tout s’enchaîne avec une longue scène d’anthologie à faire pâlir Rambo. Le rythme reste soutenu tout au long du film.
Film intéressant du point de vue du jeu de ses acteurs principaux qui, s’ils ne sont pas des professionnels du cinéma (avec cependant une expérience du théâtre pour Kalieaswari Srinivasari et Antonytha Jesusthasan, auteur de nouvelles par ailleurs) tirent aisément leurs épingles du jeu. Ce long métrage au genre contesté – docu-fiction ? – Dheepan a reçu une récompense à peu près méritée à Cannes. Faut-il y voir un portrait de la société française à la façon de Jacques Audiard ? C’est certainement prêter trop d’intentions au réalisateur : la vie tranquille et benoîte de soixante et plus millions de citoyens n’a rien d’excitant pour un cinéaste. Sans doute son propos aurait-il gagné en clarté s’il avait évité plusieurs clichés… Néanmoins, nous croisons sans doute souvent sans nous en rendre compte des anciens Dheepan de tout pays et de toute fraction armée dont le seul but est d’abandonner leur ancienne peau et de s’intégrer au mieux. Au final, un bon western de banlieue.
Dheepan un film de Jacques Audiard, Palme d’or du festival de Cannes 2015. Tous publics + avertissement : Certaines scènes de ce film risquent de heurter le jeune public.
Durée : 1h55 – Genre : Drame
Sortie nationale le 26/08/2015
Casting : Antonythasan Jesuthasan, Yalini: Kalieaswari Srinivasan, Illayaal: Claudine Vinasithamby, Brahim: Vincent Rottiers, Youssouf : Marc Zinga