Abstention record, institutions en panne, euro trop fort, excès de normes, monstre froid, système abstrait sans chair ni sentiment… Voilà comment les Français parlent de l’Europe et des élections du Parlement européen qui auront lieu dans moins de 3 semaines. Toutefois, si la majorité de nos concitoyens se désintéressent des élections européennes, il est capital qu’ils en apprennent l’enjeu : le TAFTA, Transatlantic Free Trade Area ou TTIP, Traité de libre-échange transatlantique. Un accord qui a pour objectif l’instauration d’une zone d’échange facilité entre l’Europe et l’Amérique du Nord.
Libre échange…
Au sein de l’Union européenne, il s’agit des facilités pour commercer entre les États membres, pour déplacer et échanger les personnes et les biens. Mais c’est aussi l’ALENA, côté outre-Atlantique, la zone d’échanges entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Pour tenter d’appréhender ce à quoi le TAFTA va nous exposer, détaillons son ancêtre qu’est l’ALENA. Cet accord de 1994 promettait monts et merveilles :
- éliminer les barrières douanières et faciliter les échanges transfrontaliers des biens et des services ;
- assurer les conditions d’une concurrence équitable dans la zone de libre-échange ;
- augmenter substantiellement les occasions d’investissement au sein des trois pays membres ;
- fournir une protection et une application adéquates des droits de propriété intellectuelle dans chacun des territoires ;
- adopter des procédures efficaces de mise en œuvre d’administration conjointe et de résolution des litiges ;
- approfondir la coopération trilatérale pour étendre les bénéfices de l’accord ;
- protection de l’environnement et des conditions de travail.
Que reste-t-il dans les faits de ces promesses ? Les exportations vers les États-Unis ont augmenté pour les deux autres membres. Certes, mais jusqu’à ce que la crise économique occidentale arrive et démontre le risque que fait peser à pays une trop forte dépendance à un ou plusieurs autres. En contrepoint, l’arrivée de produits américains au Mexique a causé des catastrophes économiques et écologiques (OGM, viandes aux hormones, entre autres) en plus du développement de zones franches peu profitables au développement économique global puisque conduisant à des délocalisations. Quant à la propriété intellectuelle, elle n’a aucunement progressé, notamment dans le domaine des semences.
Bref, une fois mis de côté l’appel d’air des premiers temps, il parait difficile de démontrer les avantages concrets qu’auraient tirés chacun des membres de cet accord. C’est donc avec un soupçon de perplexité que les électeurs accueilleront les promesses de cet accord TAFTA / TTIP : des millions d’emplois à venir et les points de PIB qui vont avec. De fait, ces promesses sont fondées sur des simulations remises en causes par bon nombre d’économistes. En l’espèce, mesurer un effet macro-économique à partir de multiples mesures de dérégulations est des plus complexe. Qui plus est, le secret qui a entouré les négociations entre pays européens et américains ajoute au doute ; d’autant plus que d’autres accords sont en cours de négociation avec la Corée et Japon… histoire de mieux lutter contre l’ogre chinois.
Un secret lourd…
Les autorités justifient le halo de secret par la teneur hautement stratégique de ces négociations. Mais nombre de citoyens souhaiteraient qu’un collège d’experts représentatif puisse avoir accès aux documents de négociation. Les normes en matière de propriété intellectuelle, agroalimentaire, industrie, voire même de protection sociale font-elles l’objet d’un nivellement par le bas ? À cela s’ajoute l’énergie. Il semble que le Traité faciliterait l’exportation de gaz de schiste nord-américain et redéfinirait les conditions d’exploitation de ce gaz en Europe. Idem pour le nucléaire qui pourrait trouver de nouveaux débouchés tout en mettant en danger les filières solaires européennes, déjà mises à mal par les accords Europe-Chine. Enfin, la propriété d’Internet est aussi au coeur des discussions mondiales et le projet de réseau de communication européen se trouverait remis en cause. Étant donné l’importance de ces sujets, on peut en effet regretter que leurs traitements n’aient pas été mis sur la table du Parlement européen.
La position des partis français en lice
- CONTRE : EELV, FDG, NPA, FN, UPR
- INDÉFINI : Au sein de l’UDI-Modem, la position est (comme souvent) trouble. D’abord favorable dans leurs votes au parlement, les membres de l’UDI se disent désormais opposés au Traité.
- POUR : PS, UMP même si ce dernier reste divisé en interne.
Parmi les POUR, l’UMP connait l’habituelle opposition interne entre gaullistes et ultracapitalistes ; quant au PS, il poursuit sa carrière ultralibérale commencée avec François Mitterand (fin de la séparation des banques de dépôt, d’affaires et de crédit en 1984 et autorisation de fuite de capitaux massifs, comme Loréal autorisé à partir en Suisse chez Nestlé ; ouverture du capital des entreprises nationales par Michel Rocard puis privatisation avec Lionel Jospin et, dernièrement, Jean-Marc Ayrault).
Parmi les CONTRE, on peut distinguer notamment les souverainistes (qui paradoxalement désirent des députés pour… sortir du Parlement), ceux qui veulent une autre Europe (parfois fédérale) et ceux qui ne veulent plus de l’euro comme monnaie unique tout en conservant une Union européenne. Autrement dit de nombreuses tendances et un éventail d’électeurs variés. Reste que ces différentes sensibilités peinent à troubler un débat centré sur le bipartisme PS/UMP, autrement dit Martin Schultz versus Jean-Claude Juncker, le Luxembourgeois chrétien-social et l’Allemand social-démocrate.
À noter que, côté États-Unis, des voix s’élèvent aussi contre ce projet. C’est le cas de Citizen.org, organisation de défense des droits des citoyens. Les remous sont fort également à l’USTR (bureau du représentant au commerce). Il n’est donc pas trop tard pour vous lecteurs et électeurs de vous faire votre propre idée de l’enjeu. Pour approfondir ce qui se joue avec ce Traité, nous vous renvoyons à un blog expert en la matière : http://www.contrelacour.fr/projet-traite-transatlantique-ttip-fr/
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Elections européennes : vers une Zone de libre-échange transatlantique (TTIP)