Cet été à Rennes Exporama 2025 : la Collection Pinault yeux dans les yeux avec l’exposition Claire Tabouret

yeux dans les yeux collection pinault

Pinault Collection, la Ville de Rennes et Rennes Métropole renouvellent leur collaboration pour la 5e édition d’Exporama. Du 14 juin au 14 septembre 2025, les expositions Les Yeux dans les yeux. Portraits de la Collection Pinault au Couvent des Jacobins et Claire Tabouret. Entre la mémoire et l’oubli au Musée des Beaux-Arts de Rennes offrent deux regards sensibles, critiques et complémentaires sur la notion du portrait à l’ère de sa dissolution. L’ensemble est exceptionnel. Il faut dire que Pinault est très bien conseillé — c’est une grande chance de pouvoir observer tant d’oeuvres remarquables dans notre bonne ville de Rennes ; quant à l’exposition Tabouret, elle est tout bonnement superbe.

Depuis les stèles funéraires de l’Égypte antique jusqu’aux selfies Instagram, le portrait n’a jamais cessé de dire quelque chose de notre rapport à l’identité. Mais que reste-t-il du portrait dans une société saturée d’images, de filtres, d’avatars ? Le tournant postmoderne a pulvérisé les frontières entre réel et simulacre. Dès lors, représenter un visage, c’est interroger le visage du monde lui-même. C’est à cette méditation que nous convient ces deux expositions majeures à Rennes.

yeux dans les yeux collection pinault

Le XXe siècle a vu s’effondrer l’idée d’un portrait comme « capture de l’essence ». Le XXIe, lui, multiplie les visages sans profondeur : les visages-interfaces, les visages-écrans. « Les artistes ont souvent pressenti ces basculements. On pense à Cindy Sherman, qui thématise le selfie avant même son apparition », souligne Jean-Marie Gallais, commissaire de l’exposition Les Yeux dans les yeux. L’exposition réunit près de 90 œuvres de la Pinault Collection qui, toutes, déconstruisent ou rejouent la relation traditionnelle entre modèle, regard et représentation. Le titre même — « les yeux dans les yeux » — évoque la possibilité d’une rencontre, mais aussi l’ambiguïté d’un face-à-face où l’altérité se trouble, comme dans un miroir sans tain.

Charmer in the Season Mist of Lead de Victor Man

Des œuvres comme Charmer in the Season Mist of Lead de Victor Man ou le célèbre portrait de John Lennon et Yoko Ono par Annie Leibovitz mettent en scène des regards multiples, croisés, énigmatiques. Qui regarde qui ? L’animal ? Le photographe ? Le spectateur ? Le portrait devient ici surface de projection et d’absorption. À l’image de nos profils numériques, il reflète moins ce que nous sommes que ce que les autres voudraient voir ou comprendre de nous. Le portrait ne révèle plus l’individu : il le fragmente, le réencode, le rejoue.

Dans un monde où l’identité est devenue une construction fluide, performative, voire algorithmique, l’exposition prend acte d’une époque où le « je » est désormais un champ de forces, une interface en tension. Si certains visiteurs pourront regretter l’absence d’un fil rouge ou de dispositifs explicatifs plus unificateurs, c’est précisément dans cette multiplicité que réside la cohérence du propos : le portrait contemporain est éclaté, polyphonique, parfois incohérent — à l’image du moi postmoderne.

yeux dans les yeux collection pinault
claire tabouret

En résonance directe, l’exposition Entre la mémoire et l’oubli au Musée des Beaux-Arts offre un autre versant de cette réflexion, cette fois incarnée dans le parcours d’une seule artiste. Claire Tabouret, dont la peinture mêle figuration frontale, couches de transparence et puissants effets de matière interroge la mémoire du visage plus qu’elle ne cherche à le fixer. Chez elle, les visages ne sont jamais stables : ils apparaissent, se fondent, se dérobent. L’être humain, souvent enfant ou adolescent, y est montré dans un entre-deux trouble à la lisière de la disparition.

Comme le souligne Claire Lignereux, commissaire de l’exposition et responsable des collections contemporaines du musée, cette exposition n’est pas une rétrospective, mais un « point d’étape ». En convoquant une décennie de création, elle révèle une œuvre profondément ancrée dans notre temps. Un temps où la mémoire visuelle est menacée d’amnésie, noyée dans le flux continu des images. Le portrait, chez Claire Tabouret, devient alors geste de résistance, un acte de fixation dans un monde d’oubli.

claire tabouret

Plus encore que la représentation d’un visage, c’est la notion de présence qui est ici travaillée. Une présence vacillante, hantée, fragmentaire. Le regard, encore lui, est au centre. Il transperce la toile, interroge le spectateur, lui oppose le mystère de l’autre. « Avec subtilité, ses portraits incarnent des identités fragiles, rebelles, parfois légèrement inquiétantes, toujours fluides », commente le livret de l’exposition. En cela, Claire Tabouret rejoint — sans la paraphraser — la tradition analytique du portrait, mais aussi ses ruptures, car c’est moins le sujet qu’elle veut sonder que le trauma halotique de son apparition.

Les deux expositions se répondent ainsi à distance, sans se refléter. L’une, collective, éclatée, questionne l’acte même de portraiturer à l’ère du visage-machine. L’autre, intime, charnelle, explore la persistance des corps peints dans un monde qui les efface. Toutes deux, pourtant, partagent la même tension : faire du portrait un lieu critique où l’œil se confronte non à une vérité, mais à une série d’énigmes sensibles, historiques, politiques parfois.

Infos pratiques :

Au Couvent des jacobins, du 14 juin au 14 septembre 2025
Horaires : Mardi – dimanche, 10h-19h. Nocturne chaque mercredi jusqu’à 22h (dernière entrée à 21h).

Au Musée des beaux-arts – Quai Zola du 14 juin au 21 septembre 2025
Horaires : Mardi – dimanche, 10h-18h. / Nocturne et animations gratuites le premier mercredi du mois jusqu’à 22h.

Des expositions à tarifs accessibles

Afin de s’adresser au plus large public, la Ville de Rennes et Rennes Métropole proposent un accès gratuit à ces deux expositions pour les moins de 26 ans, les titulaires de la carte Sortir!, les bénéficiaires des minima sociaux et les personnes en situation de handicap.Un billet unique donnant accès aux expositions « Les Yeux dans les yeux » (Couvent des Jacobins) et « Claire Tabouret. Entre la mémoire et l’oubli » (Musée des beaux-arts – Quai Zola) sera mis en vente.

Plein tarif 12€ / tarif réduit 7€ (le tarif réduit s’applique aux publics suivants : demandeurs d’emploi, toute personne sur présentation d’un billet du Fonds Hélène et Édouard Leclerc, à Landerneau.) Par ailleurs, sur présentation du billet de l’exposition « Les Yeux dans les yeux » au Couvent des Jacobins les visiteurs pourront bénéficier du tarif réduit à l’exposition « Corps et âmes » à la Bourse de Commerce – Pinault Collection à Paris et inversement. L’exposition du Couvent des Jacobins, à Rennes, sera en accès libre pour les détenteurs de la carte Membership Pinault Collection.

Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il étudie les interactions entre conceptions spirituelles univoques du monde et pratiques idéologiques totalitaires. Conscient d’une crise dangereuse de la démocratie, il a créé en 2011 le magazine Unidivers, dont il dirige la rédaction, au profit de la nécessaire refondation d’un en-commun démocratique inclusif, solidaire et heureux.