L’Inachevé à Paris : Pheanith Hannuna brisé par le harcèlement et ravivé par l’art

Pheanith Hannuna

À la mairie du 9e arrondissement de Paris, l’exposition L’Inachevé rend hommage à un jeune artiste prometteur victime d’un harcèlement institutionnel silencieux. Les dessins de Pheanith Hannuna, 21 ans, témoignent d’une lucidité et d’un combat intérieur dont l’issue fut tragique.

Il s’appelait Pheanith Hannuna. Étudiant en arts appliqués à Lisaa Paris, il avait du talent à revendre, un regard acéré sur le monde, et une passion précoce pour Roland Topor, Daumier, et Miyazaki. Le 9 décembre 2020, à 21 ans, il se donnait la mort, après une année de harcèlement humiliant, orchestré par une partie de ses camarades sur Instagram et dans les couloirs d’une école pourtant censée protéger les sensibilités créatives. « Pénis », « copieur », « imposteur » : derrière ces surnoms cruels se déploie l’engrenage bien connu de la mise à l’écart, puis de la persécution. Pheanith, adopté, discret, premier de la classe, résiste longtemps. Mais lorsque s’ajoutent les accusations de plagiat, sans preuve, puis un recadrage brutal par un cadre pédagogique, il sombre.

Pheanith Hannuna

Exposée à la mairie du 9ᵉ arrondissement de Paris jusqu’au 25 mai 2025, l’exposition « L’Inachevé » rassemble une trentaine de ses œuvres : dessins satiriques, croquis plus personnels, caricatures mordantes (Trump, Le Pen) et réflexions graphiques sur l’exclusion. L’un des plus bouleversants, La Rumeur (2020), montre des écoliers-moutons désignant un camarade sous l’injonction d’un meneur. Un mois plus tard, son auteur se suicidait. Autre dessin, Faire semblant (2019), montre un visage figé dans un sourire contraint. Il est difficile de ne pas y voir une allégorie de l’étouffement intérieur d’un jeune homme trop lucide devant ce qu’il vivait.

Pheanith Hannuna
Pheanith Hannuna

L’affaire judiciaire : un combat toujours en cours

Initialement classée sans suite en 2022, l’enquête sur les circonstances de sa mort a été rouverte en janvier 2023, grâce à la ténacité de ses parents, Anne-Sophie Mercier et Benjamin Hannuna, secondé par l’avocate Marie Dosé. Une information judiciaire avec constitution de partie civile est en cours. L’école Lisaa, propriété du groupe Galileo Global Education, s’est murée dans le silence. Elle s’est contentée d’une réaction publique formelle après le décès, mais aucune responsabilité n’a été reconnue. Selon les révélations du site Les Crises et du Syndicat des Travailleurs du Jeu Vidéo (STJV), Pheanith a été victime de moqueries constantes, d’injures racistes et de cyberharcèlement, notamment à travers le compte Instagram privé de sa classe. Un climat de “bro culture” et de sexisme ordinaire, déjà dénoncé dans d’autres écoles d’art, semble avoir favorisé la passivité des encadrants.

Pheanith Hannuna

Transformer l’effroi en dialogue

Pour ses parents, il ne s’agit pas seulement de réhabiliter la mémoire de leur fils, mais de briser le cycle de l’aveuglement collectif. Ils participent pendant toute la durée de l’exposition à des rencontres avec des lycéens afin de sensibiliser aux logiques de harcèlement. « On a tous été harceleur un jour, confie Anne-Sophie Mercier au journal Le Monde. Mais il faut faire attention au moment où la moquerie devient meute. Parce qu’après, ça ne s’arrête plus. Ça devient obsessionnel, ça devient dégueulasse. » L’exposition se veut un espace de parole et de transmission, un lieu pour comprendre comment, même entouré, aimé, encouragé, un jeune peut ne plus voir d’issue. Les dessins de Pheanith sont désormais là pour nous le rappeler, sans violence ni moralisation, mais avec une force que seule l’art possède.

Pheanith Hannuna

Sur les réseaux sociaux, les réactions affluent. Plus de 400 commentaires et partages sous les publications du Monde et d’autres médias rendent hommage à Pheanith. « Que ceux qui ont laissé faire trouvent un châtiment », peut-on lire sur Facebook. Sur Change.org, la pétition Justice pour Pheanith a recueilli plusieurs milliers de signatures, exigeant que les responsabilités soient établies et les systèmes éducatifs réformés pour mieux protéger les étudiants vulnérables.

Que reste-t-il de Pheanith Hannuna pour nous qui ne le connaissions pas ? Il reste un trait, une justesse, un humour noir trempé dans la douleur. Il reste des œuvres, un nom, une cause. Il reste surtout une invitation à regarder nos silences, nos petits rires complices, nos renoncements quotidiens. Il reste le devoir de ne pas laisser d’autres “inachevés” s’éteindre dans l’indifférence.

En lien :

  1. Le Monde (2025, 9 mai).
    « Les dessins de Pheanith Hannuna, étudiant en arts de 21 ans, exposés à Paris après son suicide ».
    https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/05/09
  2. Les Crises (2021, 21 mars).
    « Pheanith, étudiant poussé au suicide par les réseaux ».
    https://www.les-crises.fr/pheanith-etudiant-pousse-au-suicide-par-les-reseaux
  3. STJV – Syndicat des Travailleurs du Jeu Vidéo (2021, 13 mars).
    « Suicide d’un étudiant à LISAA : quand l’école ne protège pas ses élèves ».
    https://www.stjv.fr/news/suicide-dun-etudiant-de-lisaa
  4. 3DVF – Actualité 3D / Animation / VFX (2021, 10 mars).
    « Suicide d’un étudiant de Lisaa : l’école réagit ».
    https://3dvf.com/suicide-dun-etudiant-de-lisaa-lecole-reagit
  5. Change.org
    Pétition : « Justice pour Pheanith ! »
    https://www.change.org/p/justice-pour-pheanith
  6. Gamekult (2021, 8 avril).
    « Sexisme, harcèlement et “bro culture” dans les écoles d’art et de jeu vidéo » (avec Erwan Cario et Marius Chapuis – Libération).
    https://www.gamekult.com
  7. Isabellepompe.com (2021, 10 avril).
    « Culture en face sombre : Pheanith Hannuna et la violence institutionnelle ».
    https://isabellepompe.com/2021/04/10