Le film chocolat, tout le monde en parle. Depuis quelques jours on ne voit plus, sur le petit écran comme dans les salles obscures, que les deux compères Omar Sy et Roshdy Zem. Si on n’a pas oublié les émouvantes pages du film « Intouchables » pour le premier, comme l’interprétation lumineuse du second dans « Indigènes », impossible de ne pas se précipiter vers la nouvelle création des talentueux duettistes. C’est ce qu’Unidivers a fait pour vous en faire un rapport fidèle et circonstancié…
C’est la vie du premier artiste noir médiatisé qui nous est contée, même si ce mot en cette fin de dix-neuvième siècle fait figure d’anachronisme. Pour l’époque, c’est un événement important. Pas tant parce qu’il est noir, mais que le regard sur celui qu’on appelle nègre n’est guère empreint d’humanité. Certes, il n’est pas vu comme un animal, mais pour beaucoup, il est inférieur à l’homme blanc ; un fait clairement établi dont personne ne doute, en toute bonne foi. Les allusions à un aspect simiesque ont encore la vie dure. Cette condescendance, à ne pas parler de mépris, est ordinaire, les noirs ayant alors, sans que personne ne s’en offusque, le sobriquet de chocolat ou de Bamboula. Imaginons ce qu’a été la vie de celui dont le rôle fut d’ouvrir la route.
Rafael Padilla, jeune noir né à Cuba, à une date imprécise que l’on situe entre 1865 et 1868, était venu au monde esclave comme ses parents. Laissé aux soins d’une femme qui finit par le vendre, il atterrit en Espagne chez des Basques qui entreprennent de le frotter avec une brosse utilisée pour les chevaux, pour le blanchir. Charmant. Il s’enfuit donc. Il n’a que 14 ans !
C’est plus tard que nous le retrouvons, sous la protection d’un autre clown, Georges Footit, célèbre à l’époque et qui entreprend de le former. Ne s’étant pas trompé sur les aptitudes du jeune garçon, il bâtit un duo dont l’originalité et le talent leur permettent d’accéder en quelques années au plus haut niveau. Une telle notoriété n’a jamais été atteinte jusqu’alors par un artiste noir. C’est à partir de ce moment que tout va basculer et que le film, jusqu’alors enthousiaste, se pare de teintes plus sombres. La cause en est bien évidemment une certaine prise de conscience de la réalité. Quelle fierté peut-on tirer d’être chaque soir rabaissé, en recevant gifles et coups de pied au cul qui sonnent comme autant d’humiliations ?!
Chocolat, puisqu’on ne lui accorde pas un véritable nom, sent monter en lui d’abord la souffrance, la honte, puis bien sûr, la révolte. Le confort de vie qu’il connaît arrive même à lui paraître fade voir amère. Il ira jusqu’à tout abandonner pour une chimère. Les deux acteurs incarnent avec subtilité deux personnages qui fonctionnent en parallèle tout en restant indissociables. Bien des séquences nous mettent mal à l’aise. Les insultes, les allusions comme les actes ouvertement racistes nous renvoient, non pas à un passé révolu, mais à notre propre actualité. N’est-ce pas le même regard suspicieux ou méprisant que nous adressons au réfugié syrien ou afghan que nous croisons parce qu’il n’a pas la gueule qu’il faut ? Il nous est aussi différent que Chocolat le fût pour une personne de cette fin de siècle.
Omar Sy, chevelu à souhait, campe un personnage authentique et émouvant. James Thierrée, en clown blanc, lui donne une réplique aussi pertinente qu’humaine. S’il est difficile d’échapper au regard accusateur de Roshdy Zem, qui s’érige en juge, comme il le faisait dans « Indigènes », il n’en reste pas moins que « Chocolat » invite à changer une fois pour toutes notre regard sur l’autre et sa différence. Il nous faut essayer de comprendre en quoi celle-ci peut nous enrichir. C’est un discours intemporel, mais qui s’avère plus nécessaire que jamais ?
Rien ne paraît plus juste que de réhabiliter Rafaël Padilla et lui rendre justice en mettant en lumière l’originalité de sa création. Était-il pourtant nécessaire de forcer le trait en changeant de manière un peu opportuniste la réalité des événements de sa vie ? Il n’a pas été mis en prison par des policiers blancs prompts à le battre sans raison, mais par plaisir. Il connaissait un succès certain avant sa rencontre avec Georges Footit. Ces libertés, pas indispensables, nous éloignent de l’intention initiale qui est de raviver la mémoire de Chocolat et de le reconnaître comme artiste à part entière . Cela donne l’impression que Roshdy Zem règle un compte avec ce qui a été la France coloniale, et dont le souvenir semble être pour lui une déchirure dont il ne peut se remettre. On ne changera pas le passé. Il faut avancer sans faire preuve d’amnésie.
C’est sans doute pour cela que le 20 janvier dernier, Anne Hidalgo, maire de Paris a apposé sur la façade de l’hôtel Mandarin oriental, sis au 251 de la rue Saint-Honoré, une plaque où il est écrit. « Ici, au nouveau cirque, Rafael Padilla, dit le clown chocolat, né esclave à Cuba, et Georges Footit ont inventé la comédie burlesque associant le clown blanc et l’auguste ».
Autre hommage mérité, et pour faire oublier qu’il fut inhumé dans la fosse commune du cimetière de Bordeaux, une allée y portera son nom et le 6 février, l’actrice Firmine Richard, dont le choix n’est pas fortuit, découvrira une plaque commémorative apposée sur un mur et parrainée par les amis du clown chocolat, rappelant le lieu ou il repose en paix, mais pas dans l’oubli.
Film Chocolat, Omar Sy, James Thierrée, réalisateur Roschdy Zem, 3 février 2016, 1 h 50
Omar Sy : Rafaël Padilla/le Clown Chocolat
James Thierrée : GeorgeTudor Hall/Footit
Clotilde Hesme : Marie
Alice de Lencquesaing : Camille
Noémie Lvovsky : Madame Delvaux
Frédéric Pierrot : Delvaux
Olivier Gourmet : Oller
Olivier Rabourdin : Gemier
Les superbes photos du film sont de Julian Torres
- Les archives de la BNF c’est ici
- Inspiré de Chocolat, la véritable histoire d’un homme sans nom par Gérard Noiriel (Bayard Culture)