Frankenstein, la créature de Mary Shelley revit dans un film et un livre illustré

174
frankenstein del toro

Frankenstein ou le Prométhée moderne, roman épistolaire de Mary Shelley, a connu de multiples adaptations depuis sa création. En novembre 2025, la créature s’associe au réalisateur Guillermo del Toro pour la plateforme Netflix et se fait tirer le portrait par l’illustrateur Stan Manoukian, dans une version illustrée chez Gallimard. Dans la caméra d’un réalisateur ou sous les traits d’un dessinateur, l’histoire gothique datant du XIXe siècle aborde des sujets qui se révèlent toujours d’actualité.

C’est en 1818 que Frankenstein ou le Prométhée moderne surgit pour la première fois, s’échappant des pages du livre de Mary Shelley. Sa plume donne vie à un créateur à l’ambition démesurée et façonne une créature qui le dépasse. Ce classique de la littérature gothique traversera les siècles, d’adaptation en adaptation, jusqu’à parvenir jusqu’à nous. En ce mois de novembre 2025, « le monstre » revient habiter nos écrans et nos librairies avec la sortie de Frankenstein de Guillermo del Toro (Netflix) et la parution de Frankenstein illustré par Stan Manoukian, dans la collection « Papillon noir » chez Gallimard.

Les adaptations n’ont de cesse depuis la première transposition théâtrale, quelques années seulement après la parution du livre (1823). Elles ont d’ailleurs façonné l’imaginaire collectif selon un prisme bien précis, annihilant un pan significatif de la personnalité de la créature qui crée toute son ambivalence : si elle est intelligente et douée de parole chez Mary Shelley, la création de Frankenstein s’est muée en une bête féroce incapable d’aligner deux mots – ou avec beaucoup de difficulté. Le cinéma, qui s’empare du sujet peu après sa naissance, suivra au début cette ligne : rappelons-nous du Frankenstein interprété par Boris Karloff au début des années 1930, qui a considérablement marqué les esprits.

Le Frankenstein de Guillermo del Toro

En 1994, Kenneth Branagh a réalisé, avec plus ou moins de réussite, l’une des adaptations les plus fidèles, avec un Robert De Niro en créature oscillant entre humanité et monstruosité. Trente ans plus tard, Guillermo del Toro, pour la plateforme Netflix (certains crieront automatiquement au scandale, mais regardons avant tout jugement), emprunte peu ou prou le même chemin : il redonne à la créature la faculté de parler, et par la même occasion l’humanité qu’on lui avait autrefois ôtée.

Si l’affiche du film annonce le côté obscur de la créature, imposante et au regard menaçant – les premières minutes confirment d’ailleurs ce trait de caractère –, del Toro semble néanmoins s’attacher à faire prévaloir son statut de victime plus que de bourreau. Sans reprendre fidèlement le récit enchâssé du roman (plusieurs récits racontés par diverses personnes, pour plusieurs histoires de vie), le réalisateur s’en rapproche en divisant le film en deux grandes parties : le récit du créateur et le récit de la créature, offrant à cette dernière un véritable espace de parole.

Victime de la science, conséquence de l’obsession humaine pour le mythe créateur, la créature de Guillermo del Toro porte en elle l’innocence d’un nouveau-né dans la gestuelle de son corps, et la soif d’apprendre d’un enfant dans la curiosité de son regard. Dans la caméra du réalisateur, elle n’apparaît pas tant effrayante qu’apeurée et démunie face à ce monde inconnu qui se révèle violent et incapable d’accueillir la différence. Le jeu maîtrisé et sensible de Jacob Elordi (série Euphoria) traduit avec justesse l’isolement et la solitude des personnes en marge, ainsi que la perte de contrôle que cela peut engendrer. Si l’on peut critiquer le réalisateur pour sa manière de « lisser » sa créature, en lui injectant peut-être un peu trop d’humanité alors que tout l’intérêt du personnage se trouve dans son ambivalence à la Dr Jekyll et Mister Hyde, on retrouve néanmoins l’essence originelle de l’histoire : un être abandonné par son père et rejeté par le monde à cause de son aspect difforme.

Frankenstein de Guillermo del Toro

L’univers sombrement métallique de Stan Manoukian

La noirceur poétique de del Toro trouve son pendant sur les étagères des librairies puisque, simultanément, sort Frankenstein illustré par Stan Manoukian, publié dans la collection « Papillon noir » aux éditions Gallimard. La collection, créée en 2023 et dirigée par l’illustrateur Benjamin Lacombe, donne à voir des classiques de la littérature illustrés par des illustrateurs contemporains : Carmen de Prosper Mérimée (novembre 2024) et Gatsby le Magnifique de Francis Scott Fitzgerald par Benjamin Lacombe (novembre 2025), Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde par Xavier Giudicelli (octobre 2024), etc.

La version illustrée par Stan Manoukian s’adresse à un public plus jeune que le film, mais tout autant aux adultes. À l’image de l’esthétique nimbée d’obscurité chère à Guillermo del Toro, les illustrations sont traversées d’une aura gothique qui prolonge l’imaginaire littéraire de Mary Shelley. L’illustrateur est chez lui dans cet univers qui compte parmi ses inspirations, aux côtés d’autres écrivains comme Edgar Allan Poe, Lovecraft ou Jules Verne.

Dans cette enveloppe de papier, la monstruosité physique que Manoukian met en avant dans son interprétation est par moments adoucie par des yeux arrondis, reflets d’une curiosité enfantine.

Dans un écho aux gravures de contes de Gustave Doré, le trait en noir et blanc, sculpté à la pierre noire et rehaussé de reflets métalliques, ramène au siècle de la création de Frankenstein. Le relief qu’apporte la brillance donne vie à la composition comme Victor Frankenstein à sa création. L’alternance entre le noir et blanc et la couleur, notamment avec des doubles pages teintées de vert (couleur que l’on associe à la créature), ancre les visuels dans l’esthétique familière de Frankenstein, que l’on redécouvre avec saveur.

Frankenstein de Guillermo del Toro, avec Oscar Isaac, Jacob Elordi et Mia Goth, sur Netflix depuis le 7 novembre 2025 (2h30).

Frankenstein de Mary Shelley, illustré par Stan Manoukian, collection « Papillon noir », éditions Gallimard, 256 pages, 35 €. Parution : 19 novembre 2025.

Jamais deux sans trois : les éditions Callidor ont également édité une version de Frankenstein illustrée par Aurélien Police, parue le 25 octobre 2025, 384 pages, prix : 35 €.