Du 10 septembre au 10 octobre 2025, l’Espace Frans Krajcberg, Centre d’Art contemporain Art et Nature, présente l’exposition « Le monde perdu d’Udzungwa », fruit du travail immersif du photojournaliste Frédéric Noy. Ce projet constitue la troisième escale des Rendez-vous photographiques initiés par la controversée Fondation Yves Rocher dans le cadre de sa campagne internationale « Au nom de la biodiversité ».
Une immersion dans un sanctuaire méconnu
Le parc national d’Udzungwa, situé dans le centre de la Tanzanie, est l’un des joyaux les plus secrets de la biodiversité africaine. Sur seulement 2 000 km², ce territoire escarpé, brumeux et luxuriant, abrite un exceptionnel taux d’endémisme, notamment parmi les primates, comme le très rare Kipunji, découvert au début des années 2000. Délaissé par les circuits touristiques classiques, ce sanctuaire naturel souffre pourtant de multiples menaces : déforestation domestique, expansion agricole centrée sur la monoculture, pression démographique et recul progressif des corridors écologiques.
C’est ce monde fragile que Frédéric Noy a exploré et documenté pendant plusieurs mois. Son objectif ? Rendre visible ce qui ne l’est plus, en révélant non seulement les merveilles biologiques du site, mais aussi les dynamiques humaines et les tensions socio-environnementales à l’œuvre. Loin de tout sensationnalisme, ses images s’attachent aux marges de l’actualité et privilégient la durée, le récit, la complexité.

Frédéric Noy, une démarche de témoignage
Né en 1965, Frédéric Noy est un photographe documentaire reconnu pour ses travaux au long cours menés en Afrique, en Asie centrale et au Moyen-Orient. Qu’il s’agisse de minorités stigmatisées, de territoires en mutation ou de conflits oubliés, ses récits photographiques cherchent à décentrer le regard, en évitant les filtres ethnocentriques. Cette exposition sur Udzungwa s’inscrit dans cette lignée : elle donne à voir une nature en sursis, mais aussi les initiatives locales de résilience — comme les programmes agroforestiers portés par des ONG tanzaniennes.
En se plaçant dans la filiation de Frans Krajcberg — artiste brésilien d’origine polonaise ayant fait de l’art un outil de dénonciation écologique dès les années 1960 —, Frédéric Noy poursuit une œuvre de témoignage et d’alerte. Il ne s’agit pas ici de « sublimer » la nature pour la consommer en images, mais de susciter un éveil face aux processus invisibles de destruction lente.

L’Espace Frans Krajcberg, un lieu d’engagement
Installé au cœur du 15e arrondissement de Paris, l’Espace Frans Krajcberg est à la fois un centre d’art, un laboratoire de réflexion et un lieu de mémoire. On y découvre les œuvres du sculpteur et photographe Frans Krajcberg, réalisées à partir de bois calcinés, de racines arrachées et de matériaux récupérés dans les forêts brésiliennes dévastées. À travers lui, l’art devient cri — cri de rage, cri d’espoir.
C’est dans cette perspective que le partenariat avec la Fondation Yves Rocher a pris tout son sens. Depuis 2023, trois photo-reporters sont accueillis à leur retour de mission pour une exposition et un partage avec le public. Udzungwa vient clore ce cycle entamé avec le Pantanal et la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

La Fondation Yves Rocher, entre action et controverses
Créée en 1991 par Jacques Rocher, la Fondation Yves Rocher revendique une action directe pour la nature, avec des programmes tels que Plant for Life (120 millions d’arbres plantés à ce jour) ou Terre de Femmes qui soutient les initiatives écologiques portées par des femmes. L’exposition de Frédéric Noy entre ainsi dans le cadre d’une campagne de sensibilisation internationale par la photographie.
Cependant, cette mobilisation de la Fondation s’accompagne de critiques récurrentes visant la maison-mère Yves Rocher. Plusieurs enquêtes et articles soulignent une profonde dissonance entre les actions de mécénat et les pratiques industrielles de la marque de cosmétique. Absence de transparence sur l’impact environnemental réel, recours à des ingrédients contestés, emballages peu vertueux… Le terme de greenwashing revient fort souvent dans les analyses critiques. Le contraste entre l’image véhiculée par la Fondation et les réalités de l’entreprise soulève une question centrale : jusqu’où la communication écologique peut-elle masquer les contradictions structurelles d’un modèle industriel mondialisé qui aimerait se faire croire vertueux ?

Une invitation à regarder autrement
Malgré ces regrettables ambiguïtés, l’exposition de Frédéric Noy ne s’enferme pas dans un discours institutionnel. Elle convoque le spectateur au-delà du spectaculaire en l’invitant à porter attention aux nuances, aux tensions, aux respirations d’un territoire que l’on pourrait croire perdu, mais dont les visages, les plantes, les gestes du quotidien dessinent encore une ligne de résistance.

INFORMATIONS PRATIQUES
Frédéric Noy, « Le monde perdu d’Udzungwa »
Espace Frans Krajcberg – 21 avenue du Maine, Paris 15e
Du 10 septembre au 10 octobre 2025
Du mardi au samedi, 14h–18h (nocturne mercredi jusqu’à 20h)
Entrée libre – www.espacekrajcberg.fr
