La guerre est une ruse fut l’une des phrases pré mortem que prononça Mohamed Merah dans la nuit du 21 au 22 mars 2012 lors d’un entretien téléphonique avec un officier de la DCRI qui tentait de le convaincre de se rendre alors que le RAID procédait à l’assaut de son appartement dans la banlieue toulousaine.
La guerre de Mohamed Merah et des épigones d’Al-Qaïda ou Daesh est postérieure à celle dont traite le nouvel opus de Frédéric Paulin. Elle nous ramène 30 ans en arrière, au début des années 90, dans l’Algérie post-indépendance : ce pays magnifique, gorgé de richesses naturelles subissait depuis 30 ans la dictature du parti unique, le FLN.
Le FLN, l’un des groupements de résistance au colonisateur qui, à défaut d’être vainqueur militairement, avait su éliminer les autres factions rebelles et pratiquer en son sein une épuration qui avait concentré au profit de l’armée le pouvoir politique et économique mettant le pays en coupe réglée avec un effondrement de la production agricole et industrielle. Le pays survivant de la vente de ses richesses gazières et pétrolières au profit d’une minorité tandis que le reste de la population, en particulier les jeunes n’avaient d’espoir que dans l’émigration ou la religion.
Au début des années 90, sous la pression de la rue, le système du parti unique dut céder et les islamistes avec le FIS (Front Islamique du Salut) furent en passe de prendre le pouvoir, ce que n’acceptèrent pas les caciques de l’armée qui obligèrent le Président de la République à démissionner et emprisonnèrent les principaux dirigeants du FIS. Des maquis, sous la houlette de vétérans de la guerre d’Afghanistan, se formèrent : deux groupes se constituèrent le GIA (Groupe Islamique armé) et l’AIS (Armée Islamique du Salut) qui se combattaient entre eux et aussi bien sûr avec l’armée algérienne. La France, alors en fin du dernier mandat de Mitterrand, bien que présente par ses Services en Algérie, gardait une position neutre ce qui déplaisait aux militaires et au FLN.
Des exécutions et des massacres sans nom eurent lieu, fréquemment attribués aux islamistes, mais pour nombre d’entre eux le doute est de rigueur. Ce que raconte l’excellent ouvrage de Frédéric Paulin c’est le rôle « noir » des services algériens, manipulant, torturant, et exécutant sans pitié et cherchant à impliquer encore plus la France dans la répression des islamistes réfugiés en Europe. C’est l’occasion d’une belle galerie de portraits : le lieutenant Tedj Benlazar franco-algérien et ses tourments, le capitaine Bellevue, vieux briscard de la France Afrique et des guerres postcoloniales, mais aussi des femmes vaillantes Fadoul la Tchadienne, confrontée au racisme et G’zhal fiancée d’un islamiste et que Benlazar croise dans la Casbah. Un roman extrêmement fouillé avec beaucoup d’informations, sans doute très proches de la vérité.
À recommander.
Frédéric Paulin, La guerre est une ruse, Éditions Agullo, septembre 2018. 384 pages. 22 €.
La guerre est une ruse est le premier volet d’une future trilogie. Ce premier volet démarre en Algérie en 1992 pour s’achever en 1995 avec les attentats de Saint-Michel à Paris.
Frédéric Paulin écrit des romans noirs depuis presque dix ans. Il utilise la récente Histoire comme une matière première dont le travail peut faire surgir des vérités parfois cachées ou falsifiées par le discours officiel. Ses héros sont bien souvent plus corrompus ou faillibles que les mauvais garçons qu’ils sont censés neutraliser, mais ils ne sont que les témoins d’un monde où les frontières ne seront jamais plus parfaitement lisibles. La Guerre est une Ruse est un roman finaliste du Prix des Chroniqueurs de Toulouse Polars du Sud 2018.