Une série de meurtres dans le Berlin bombardé par les Alliés en 1944. Germania, c’est le nom qu’aurait pris la ville si les nazis avaient gagné la guerre, c’est aussi le nom du premier thriller historique d’Harald Gilbers, un premier roman récompensé par l’un des plus prestigieux prix de littérature policière, le prix Friedrich Glauser
Germania, die Welthauptstadt (la capitale mondiale) : Hitler et son architecte favori Albert Speer (1905-1981) avaient concocté dans leur mégalomanie une cité de la démesure néo-classique proche de ce que l’architecte visionnaire français Étienne-Louis Boullée (1728 -1799) imagina au XVIIIe siècle. Hitler en dira :
Ceux qui me succéderont un jour, ceux-là auront bien besoin d’un tel apparat. Pour beaucoup d’entre eux, ce sera la seule façon de se maintenir. On ne saurait croire le pouvoir qu’acquiert sur ses contemporains un petit esprit quand il peut profiter d’une telle mise en scène. De tels lieux, quand ils seront empreints d’un passé historique, élèvent même un successeur sans envergure à un rang historique. Voyez-vous, c’est la raison pour laquelle nous devons construire tout cela de mon vivant ; afin que j’ai vécu là et que mon esprit confère une tradition à cet édifice.
Cité par Albert Speer dans Au cœur du Troisième Reich, Librairie Arthème Fayard, 2010, p. 224.
Mi 1944, Berlin est bombardé par les Alliés. Débarquements sur la côte normande à l’Ouest, Russes à l’Est et une série de meurtres de femmes dont les corps atrocement mutilés sont retrouvés devant des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale. Ces meurtres sordides sont évocateurs d’un « serial killer ». L’affaire est suffisamment grave et doit être rapidement résolue afin d’éviter d’aggraver le moral en berne des Berlinois. Vogler, Hauptsturmführer SS, rappelé du front pour servir dans le SD, service du renseignement SS (Sicherheitsdienst), est chargé de l’affaire : comprenant ses limites d’enquêteur, il propose à l’ex-commissaire Richard Oppenheimer, ancien de la Kripo (Kriminalpolizei, la police criminelle) de participer à l’enquête ce qui allègera, au moins provisoirement sa propre situation. En effet, Oppenheimer est juif et a donc été interdit d’exercer son métier comme tous les juifs après l’instauration des lois raciales, faire appel à lui peut s’avérer très dangereux, mais il faut faire vite. Lorsque Oppenheimer est appelé en renfort, il vit avec sa femme, une « aryenne », reclus dans une « maison des Juifs » (Judenhaus). Le statut de sa femme, comme celui de beaucoup de conjoints aryens, ne donnait qu’une protection toute relative à ces juifs mariés hors de leur communauté et il espère, en collaborant à cette enquête, améliorer un tant soit peu sa condition, voire même éviter le sort tragique qui lui est probablement réservé. On comprend que Vogel joue son poste et Oppenheimer joue sa vie. On comprend que cette enquête en milieu hostile va s’avérer difficile et extrêmement dangereuse.
On retrouve bien sûr quelques poncifs des polars à base de « serial killer » avec description anatomique à la clé sur fond de guerre interne entre l’Abwehr de l’Amiral Canaris et le SD, mais l’intrigue est prenante et l’auteur s’appuie sur une excellente documentation historique. On imagine aisément ce Berlin ravagé par la guerre, la violence, les tensions psychologiques, les habitants juifs, chrétiens, allemands, nazis, résistants, tous confrontés à ce quotidien sous haute tension.
Germania, Harald Gilbers, thriller, Editions Kéro, traduit de l’allemand par Joël Falcoz. Parution : 23 mars 2015, 432 pages. 19,90 € ou e-book : 13,99 €.
Réédité en mars 2016 dans la collection grands détectives (éditions 10/18) au prix de 8,80 €
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Harald Gilbers :
Après des études de lettres anglaises et d’histoire, Harald Gilbers a travaillé comme journaliste pour les pages culturelles d’un magazine puis comme metteur en scène indépendant. Harald Gilbers travaille actuellement à son troisième roman. Le deuxième, les Fils d’Odin est paru en mars 2016, toujours aux Editions Kero.
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Le 3ème Reich a inspiré de nombreux auteurs de polar : on citera les excellents Dominique Manotti en France (2004, Le corps noir), l’Anglais Philip Kerr (2010, La trilogie berlinoise) et l’Allemand Volker Kutscher (En 2007, est publié Der nasse Fisch (Le Poisson mouillé), premier volume d’une série de romans policiers qui met en scène le commissaire Gereon Rath à Berlin pendant la République de Weimar, le second roman de la série sera Der stumme Tod (La Mort muette). Ils sont interviewés dans une émission d’Arte récemment.
Plus curieux est le fait que sous l’Allemagne nazie, le Krimi ( le polar) resta un genre très diffusé, encouragé par le régime et disposant d’une liberté de parole parfois surprenante. On se reportera à l’Anthologie ad hoc « Krimi » de Vincent Platini.
Pour ceux qui s’intéresseraient au Berlin de la fin de la Guerre, citons « Seuls dans Berlin » d’Hans Falacha qui parle de la résistance d’un couple modeste qui distribue dans les boîtes aux lettres des tracts manuscrits après la mort de leur fils unique au front ou encore « Une femme à Berlin » publiée anonymement et qui décrit le calvaire des femmes allemandes au début de l’occupation soviétique. Son auteur s’appelait Marta Hillers (1911-2001) et ne publia pas d’autre roman.
Toujours dans ce Berlin du crépuscule et pour les amateurs de littérature, citons deux auteurs disparus dans le chaudron de l’histoire et cités par Modiano dans « Dora Bruder ». Friedo Lampe et Félix Hartlaub.
Le premier écrivit un chef d’œuvre de mélancolie « Au bord de la nuit » : il fut tué, bien que non combattant, le jour de la capitulation de la ville, fusillé « par erreur » par les troupes soviétiques. Le second aurait pu être un grand intellectuel et n’était pas fait pour être militaire : il disparu au cours des combats de Berlin. Ses notes, sorte de journal, furent publiées après sa mort.
https://www.youtube.com/watch?v=gMhw6xVA_0A