Eva Fogelgesang et Christophe Deslignes étaient à Guéhenno lors d’un concert organisé par cette petite commune du patrimoine rural. Les deux musiciens, installés dans le Morbihan, ont fondé la Compagnie des 5 Cercles en 2007 afin de partager leur passion pour les musiques médiévales. Présentation d’une escapade au pays des sons, voyage temporel en chanson dans un univers où le merveilleux et l’universel se rencontraient dans la matière, bois, granit, peinture, afin de s’incarner en d’étranges dragons.
« C’est nouveau à Guéhenno », ce sont les mots par lesquels le maire, Jean-Claude Diabat, a clôturé le beau programme de « Patrimoine en marche » samedi 2 juillet, une animation initiée par le réseau des Communes du patrimoine rural de Bretagne. Non que l’amour du patrimoine, bâti et paysager, ou celui de la randonnée soient nouveaux dans ce coin d’Armorique verdoyant, mais parce que le concert organisé à cette occasion appartient aux moments d’une beauté rare et précieuse qui méritent d’être partagés.
Harpe, saz, rebec, organetto, flûtes, épinette des Vosges…
Placé sous le signe de la rencontre entre les cultures, ce concert a charmé le public par des sonorités venues d’un autre temps, plus tolérant.
Utilisant de nombreux instruments qu’il est rare d’entendre chez nous, les deux artistes chantent ce soir-là dans une langue née du métissage entre juifs, arabes et chrétiens, quelque part en Espagne, le ladino. Il était une fois, autrefois…
Autres mœurs, autres fêtes, entre joie et tristesse, entre principes moraux et jeux musicaux. Au cœur du répertoire, un titre amuse, « Les belles-mères d’aujourd’hui », clin d’œil à l’universel qui se conjugue à tous les temps quelle que soit l’époque. D’autres mélodies remuent l’âme en profondeur, le public suspend son souffle. Tout à leur chant, Eva devient l’ange musicien, Christophe le troubadour inspiré.
Ce concert réveille le souvenir lointain d’une paix propice aux échanges scientifiques, économiques, culturels, paix qui dura plusieurs siècles. Il fait écho aux harmonies dont l’héritage transmis de génération en génération malgré l’exil est arrivé jusqu’à nos oreilles grâce au hasard des chemins qui se croisent. Les mots manquent pour dire la pureté, la joie de vivre intemporelle qui se dégagent des notes libérées de leur histoire, de notre histoire.
Cette invitation au voyage des sons est aussi l’occasion de découvrir la belle acoustique de la chapelle St-Michel que jouxtait autrefois une autre chapelle, Saint-Marc, démontée dans les années 50 puis remontée dans une commune voisine. Ainsi en était-il du patrimoine, il n’y a encore pas si longtemps.
Le site du Mont a été le premier site habité de Guéhenno, dès le XIIe siècle. La chapelle orpheline de sa jumelle n’est donc pas un bâti isolé face à un panorama exceptionnel. Un moulin à vent et des fermes villageoises restaurées avec goût ou encore à l’abandon ajoutent au charme de ce point de rendez-vous ancestral, là où dialoguent en silence des sculptures incroyablement travaillées dans une semi-obscurité accueillante.
Avec Eva Fogelgesang et Christophe Deslignes de la Compagnie des 5 cercles, c’est comme si l’ancien village retrouvait un peu de son passé médiéval. Comme s’il était temps de faire à nouveau résonner les instruments qui peuplent encore les fresques et les sablières des chapelles bretonnes, véritable témoignage de la dimension européenne d’une créativité, d’un imaginaire, qui ont fait la richesse d’une époque pacifiée et dont les beautés peuvent arriver jusqu’à nous à travers les siècles, grâce à la passion des artistes, des collectionneurs.
Comme une eau de source qui disparaît sous l’humus à peine jaillie du sol pour rejoindre plus loin la rivière, puis un jour l’océan, il en va ainsi de la musique et des sons pour réveiller une fois l’an l’âme des dragons qui veillent sur les chapelles de nos campagnes autrefois si peuplées, si inspirées.