Les Zones à Faibles Émissions (ZFE), instaurées pour améliorer la qualité de l’air en milieu urbain, sont en train de devenir un point de crispation majeur en France. Ce qui aurait pu rester une simple mesure environnementale se transforme en véritable poudrière sociale, à l’image des mobilisations passées, comme celle des Gilets jaunes. Désormais, un nouveau mouvement, uporté par l’écrivain Alexandre Jardin et le chanteur Daniel Guichard, se cristallise autour des « gueux », ces automobilistes relégués hors des centres-villes faute de moyens pour s’adapter aux nouvelles normes de circulation.
ZFE et justice sociale : un rejet massif
Dès les premières mises en place des ZFE en 2015, peu de réactions avaient émergé, les interdictions restant limitées et les contrôles peu appliqués. Mais en 2025, l’interdiction des véhicules Crit’Air 3 et supérieurs concerne 11,4 millions de voitures en France, une restriction qui touche en priorité les classes populaires et rurales, là où l’usage de la voiture est essentiel. Un rejet massif s’est exprimé dans une consultation de la Métropole du Grand Paris, avec 94 % d’avis défavorables.
Cette situation rappelle le mouvement des Gilets jaunes, né en réaction à la hausse des taxes sur le carburant en 2018. Dans les deux cas, la question du pouvoir d’achat et du mépris ressenti envers les « petits » automobilistes est au centre des revendications. Ce sentiment de déclassement alimente une fracture sociale et territoriale : d’un côté, les métropoles engagées dans la transition écologique, de l’autre, une France périphérique contrainte et pénalisée.

Entre passivité politique et réactions locales
Devant cette contestation, la réponse politique a oscillé entre temporisation et durcissement. En 2024, le ministre de l’Écologie Christophe Béchu a revu à la baisse le nombre de villes concernées, passant de 40 à seulement deux métropoles obligées de mettre en place une ZFE : Paris et Lyon. Toutefois, ces ajustements n’ont pas suffi à apaiser les tensions.
Si certaines villes, comme Lyon, durcissent le ton avec des contrôles et des verbalisations renforcées, d’autres collectivités hésitent encore à appliquer strictement la réglementation. Le parallèle avec la crise des Gilets jaunes est frappant : une mesure impopulaire, soutenue par l’exécutif mais largement contestée par une partie de la population, et une application différenciée selon les territoires.
La mobilisation des « gueux » : vers une nouvelle révolte populaire ?
L’initiative d’Alexandre Jardin marque un tournant dans la contestation. Par des manifestations hebdomadaires pacifiques devant les mairies, les « gueux » entendent se faire entendre sans recourir à la violence. Ce mode d’action contraste avec les débordements qui avaient marqué le mouvement des Gilets jaunes, mais pourrait tout autant peser sur l’agenda politique.
Le choix du terme « gueux » est significatif : il renvoie à une classe sociale méprisée, rappelant les revendications des sans-culottes de la Révolution française ou des paysans lors des jacqueries médiévales. Cette rhétorique, qui oppose une élite déconnectée au « peuple réel », pourrait trouver un écho grandissant à mesure que les sanctions liées aux ZFE se durcissent.
Une opportunité pour l’extrême droite ?
Derrière la contestation des ZFE se cache un enjeu électoral majeur. Une étude de l’Ifop montre que le vote en faveur du Rassemblement national (RN) est particulièrement fort parmi les populations dépendantes de la voiture. En 2022, ce vote a atteint 49 % chez ces électeurs, contre 28 % chez ceux n’ayant pas besoin d’un véhicule au quotidien.
Le parallèle avec la montée du populisme aux États-Unis est éclairant. Comme Alexandre Jardin l’a souligné, les Démocrates américains ont perdu une partie de la classe populaire en imposant des politiques perçues comme technocratiques et déconnectées des réalités du terrain. En France, la rigidité des politiques écologiques pourrait avoir un effet similaire : alimenter une défiance accrue envers les partis traditionnels et renforcer l’attractivité du RN, seul parti à s’être clairement opposé aux ZFE dès 2022.
Vers une refonte des politiques écologiques ?
Les ZFE ne sont pas qu’une simple question de pollution de l’air : elles incarnent un clivage entre urbains et ruraux, riches et pauvres, gouvernants et gouvernés. Comme pour les Gilets jaunes, l’absence d’écoute et de concertation pourrait transformer une contestation en crise sociale majeure.
La question qui se pose désormais au gouvernement est celle de la légitimité de ces mesures. Peut-on imposer une transition écologique sans alternative viable pour les plus précaires ? L’histoire récente montre que le refus d’entendre les signaux d’alerte peut conduire à des crises bien plus profondes. À l’exécutif de décider s’il souhaite désamorcer la colère des « gueux » avant qu’elle ne prenne une ampleur incontrôlable.