Et si l’Occident s’était incarné dans le corps de la lettre ? Pierre Bergounioux, enseignant à l’école supérieure des Beaux-arts de Paris, sculpteur, auteur également de nombreux essais, s’attaque ici à une réflexion sur l’écriture publiée chez Fata Morgana et illustrée par Jacquie Barral. C’est l’occasion de se retourner sur le curieux chemin qui nous mène de Lascaux aux ordinateurs quantiques.
Qu’est ce qui caractérise la civilisation : le feu, le silex, l’agriculture, la bombe H ? Ou bien l’écriture ?
Il y a quelques 40 000 ans, des hommes de la savane africaine gravèrent 29 traits sur un os long, sans doute le premier calendrier lunaire, l’aube des mathématiques et la première trace d’« écriture ». Et ce n’est pas tout à fait un hasard si cette activité visait à compter. Passant du dessin à l’idéogramme, les hommes du Moyen-Orient arrivèrent aux signes cunéiformes et aux hiéroglyphes qui persistèrent des milliers d’années. Les hiéroglyphes égyptiens subirent rapidement une simplification que l’on appelle le démotique (cf. la Pierre de Rosette).
Les premières traces d’écriture dans les civilisations sont bien peu romantiques. Ces premiers traits, griffures devrait-on dire, qui usèrent des générations d’historien à leur déchiffrement, qu’il s’agisse du sumérien ou du linéaire B, ne parlaient que de marchandises c’est-à-dire de stock et d’entrepôt. Déjà, il y a bien longtemps, le capitalisme s’affirmait, et Pierre Bergounioux voit dans cette écriture l’amère constatation de la fin de l’égalité originelle des chasseurs-cueilleurs devenus agriculteurs avec la constitution de sociétés structurées et dominatrices chères à l’historien Georges Dumézil, étagées des Brahmanes aux paysans en passant par les guerriers.
Notre écriture, telle que les Romains, peuple pragmatique s’il en fut, nous livrèrent, prend sa source dans les hiéroglyphes égyptiens. Simplifiés à l’extrême, une vingtaine de signes suffirent peu à peu à représenter l’essentiel des phonèmes. Les Phéniciens s’en emparèrent et les transmirent aux Grecs, pères de la culture occidentale, qui y rajoutèrent les voyelles a, e, i, o, u avant d’atteindre Rome, etc.
Bien sûr ce petit ouvrage ne se limite pas à ces considérations. Il s’agit là d’un petit livre d’art joliment illustré par Jacquie Barral. Il est édité in quarto ce qui veut dire qu’il faut en découper les feuillets, mais il est possible sans grand effort de le lire sans l’altérer. Bonne lecture !
Pierre Bergounioux et Jacquie Barral, Le Corps de la lettre, Saint Clément de rivière, Fata Morgana, mars 2019, 64 pages. Prix : 13 €.