Paris. Un Misanthrope crépusculaire et incisif à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet

Misanthrope
Misanthrope

La mise en scène du Misanthrope par Georges Lavaudant au Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet offre une lecture radicale de la pièce de Molière : la noirceur du propos l’emporte sur la légèreté de la comédie. Ce choix esthétique, assumé et rigoureux, fait de cette production une expérience théâtrale quasi aussi fascinante qu’exigeante.

Dès l’ouverture du rideau, le ton est donné : un décor dépouillé, dominé par des éléments froids, où se reflète un monde qui semble s’effondrer sous le poids de son hypocrisie. Jean-Pierre Vergier, en concevant des costumes sombres, surannés, accentue cette impression d’une société figée, prisonnière de ses codes et de ses faux-semblants. À l’inverse d’une lecture légère ou moqueuse du texte, Lavaudant en propose une version crépusculaire, presque tragique, qui souligne les tourments intérieurs d’Alceste et de son entourage.

Cette austérité scénique pourrait, chez d’autres metteurs en scène, être synonyme d’un statisme écrasant. Or, ici, elle devient un cadre qui permet de concentrer l’attention sur le texte et le jeu des acteurs. La parole moliéresque résonne sans artifices en révélant sa puissance analytique et son cynisme percutant. Ce parti pris favorise une immersion totale dans les tensions et autres dilemmes moraux de cette société où les convenances dictent les comportements au détriment de la sincérité.

Une interprétation d’une grande rigueur, dominée par Éric Elmosnino

Le rôle d’Alceste, personnage emblématique du théâtre classique français, est confié à Éric Elmosnino, dont le charisme et la sensibilité font merveille. Son Alceste n’est pas un simple atrabilaire en révolte contre la courtoisie feinte de son époque : il est un être écorché, rongé par une lucidité qui le condamne autant qu’elle l’éclaire. Contrairement à certaines interprétations qui en font une caricature de bougon misanthrope, Elmosnino déploie toute la complexité psychologique du personnage : à la fois excessif et touchant, amer mais sincère.

Face à lui, Mélodie Richard compose une Célimène subtilement ambivalente. Loin du cliché de la précieuse coquette, elle incarne une jeune femme pragmatique, tiraillée entre son goût du jeu mondain et une sincère affection pour Alceste. Son jeu tout en finesse laisse transparaître une forme de résistance à la vision trop rigide de son amant qui refuse de faire la moindre concession aux usages du monde. Son regard, parfois ironique, parfois désolé, en dit long quant au dilemme d’une femme qui ne peut renoncer ni à sa liberté ni à l’amour qu’elle éprouve peut-être malgré elle.

Le reste de la distribution ne démérite pas : François Marthouret, en Philinte, campe un ami lucide et bienveillant, qui semble résigné à voir Alceste s’enfoncer dans son rejet du monde. Anne Sée, en Arsinoé, donne à son personnage toute la perfidie nécessaire sans jamais tomber dans la caricature outrancière.

Une mise en scène exigeante, parfois déroutante

Si cette production a le mérite de proposer une lecture originale et maîtrisée du texte, elle peut néanmoins dérouter certains spectateurs. En premier lieu, son rythme lent, parfois presque contemplatif, contraste avec l’énergie plus dynamique que l’on associe souvent à Molière. Certaines scènes, en particulier les confrontations entre Alceste et Célimène, s’étirent dans une tension qui frôle parfois l’immobilisme, ce qui peut affaiblir l’impact dramatique de certaines répliques.

De même, le dépouillement extrême du décor et l’absence de tout artifice spectaculaire rendent la mise en scène presque aride par moments. Si ce choix sert la rigueur du propos, il exige du spectateur une concentration absolue sur le jeu des acteurs et la musicalité du texte. Dans un monde théâtral où l’image et la scénographie tiennent une place prépondérante, cet épurement radical peut sembler excessivement austère.

Malgré ces réserves, cette mise en scène du Misanthrope réussit un pari audacieux : offrir une lecture introspective et moderne d’un texte vieux de plus de trois siècles en travaillant la profondeur existentielle du personnage d’Alceste. Ici, il ne s’agit pas seulement d’un homme en colère contre la société, mais d’un individu déchiré entre son idéal de sincérité et son incapacité à s’adapter à un monde régi par les apparences.

En cela, le spectacle de Georges Lavaudant apporte une résonance particulièrement contemporaine à l’œuvre de Molière. À l’heure où l’hypocrisie sociale prend de nouvelles formes – notamment à travers les codes de la communication numérique et des réseaux sociaux –, cette mise en scène invite à une réflexion sur la difficulté de rester authentique dans un univers où la flatterie et le paraître semblent être la norme.

MolièreGeorges Lavaudant, Athénée, Grande salle, durée : 2h
2-4 square de l’Opéra Louis-Jouvet – 75009 Paris
Billetterie : 01 53 05 19 19
billetterie@athenee-theatre.com
Administration :
accueil@athenee-theatre.com

12 > 30 mars 2025 Réserver ici

Dates et horaires des représentations
mar.18 mars 2 H mer.19 mars 2 H jeu.2 mars 2 H ven.21 mars 2 H sam.22 mars 2 H dim.23 mars 16H mar.25 mars 2 H mer.26 mars 2 H jeu.27 mars 2 H ven.28 mars 2 H sam.29 mars 2 H dim.3 mars 16H

Distribution
Texte Molière • Mise en scène Georges Lavaudant

Dramaturgie Daniel Loayza • Scénographie & costumes Jean-Pierre Vergier • Assistante à la mise en scène Fani Carenco • Maquillage, coiffure, perruques Sylvie Cailler, Jocelyne Milazzo • Assistante costumes Siegrid Petit-Imbert • Création lumière Georges Lavaudant, Cristobal Castillo-Mora • Création son Jean-Louis Imbert

Alceste Eric Elmosnino • Philinte François Marthouret • Célimène Mélodie Richard • Oronte Aurélien Recoing • Arsinoé Astrid Bas • Clitandre Luc-Antoine Diquéro • Éliante Anysia Mabe • Basque Bernard Vergne • Du Bois Thomas Trigeaud • Acaste Mathurin Voltz