Modification du PLUi de Rennes Métropole : entre ambitions urbanistiques et exaspération citoyenne

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Le Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUi) de Rennes Métropole a été officiellement modifié pour la seconde fois depuis son adoption en 2019. Approuvée par le Conseil métropolitain le 19 juin 2025, cette évolution réglementaire d’envergure vise à adapter les règles de construction et d’aménagement aux impératifs contemporains de logement, de transition écologique, de mobilité, et de sobriété foncière. Derrière les objectifs affichés se dessinent néanmoins des lignes de fracture : entre volontarisme politique et résistance citoyenne, entre impératifs de densification et sentiment d’incompréhension de nombreux habitants.

Une modification à forts enjeux

Ce PLUi modifié ambitionne de répondre à la demande croissante en logements, avec un cap fixé à 5 000 logements par an (voir notre entretien avec Marc Hervé), dont 60 % à travers le renouvellement urbain. Il entend aussi mieux encadrer l’usage des sols en limitant l’artificialisation, densifier les zones d’activités économiques, renforcer les mobilités alternatives à la voiture, ou encore mieux intégrer les enjeux de résilience climatique (ventilation des logements, sobriété énergétique, récupération des eaux pluviales, encadrement des piscines).

D’autres axes notables comprennent :

  • La protection de 314 nouveaux édifices patrimoniaux,
  • L’ajustement des règles de stationnement pour mieux coller à la réalité des ménages,
  • La régulation accrue de la constructibilité en zone rurale, pour protéger le foncier agricole,
  • Et l’ouverture à l’urbanisation de 76,6 hectares, en partie pour répondre à l’objectif ZAN (Zéro Artificialisation Nette) d’ici 2028.

Des oppositions locales multiples

Mais si la volonté de concilier croissance urbaine et durabilité environnementale est au cœur de cette réforme, la méthode et les effets concrets de cette modification suscitent de vives critiques. L’enquête publique, menée fin 2023-début 2024, a donné lieu à un nombre important de contributions citoyennes. Certaines d’entre elles portaient sur des projets déjà très contestés localement, comme :

  • La Motte Baril (quartier sud-est de Rennes),
  • Le projet d’Aiguillon rue de Vern,
  • L’îlot Orange à Maurepas,
  • Ou encore la ZAC Cœur de Ville à Noyal-Châtillon-sur-Seiche.

Le sentiment qui domine depuis des années parmi de nombreux habitants est celui d’un dialogue de façade. Malgré les remarques de la commission d’enquête, les pétitions locales, les réunions publiques souvent actives, les modifications finales n’intègrent presque rien des avis citoyens.

Dans une déclaration au Conseil métropolitain de ce sooir, le conseiller municipal Antoine Cressard résumait ainsi l’opinion de certains élus et collectifs d’habitants : « Une fois de trop, nous constatons que malgré les critiques, malgré les contre-projets, rien n’a été repris. Business as usual. »

Les griefs sont nombreux :

  • Un urbanisme perçu comme autoritaire, déconnecté des attentes de terrain,
  • Des projets jugés déstructurants pour certains quartiers résidentiels,
  • Une confusion entre densification et verticalisation, parfois au détriment de la qualité architecturale,
  • Et une poursuite d’une politique du logement qui, selon ses détracteurs, favorise les investisseurs plus que les classes moyennes ou les ménages fragiles.

Une politique de logement à bout de souffle ?

Plus largement, ce nouveau PLUi met en lumière les tensions structurelles d’une métropole en mutation rapide : explosion du prix de l’immobilier, raréfaction du foncier disponible, creusement des inégalités, et fragilisation du lien entre institutions et citoyens.

La critique portée par certains élus d’opposition évoque l’échec du précédent PLH (Programme Local de l’Habitat) :

  • hausse des prix supérieure à celle des autres métropoles,
  • hausse de la demande de logements sociaux,
  • fuite des classes moyennes,
  • concentration des programmes dans des quartiers déjà denses.

Autrement dit, l’objectif de mixité sociale proclamé se heurte à une fabrique urbaine trop souvent pensée sans ou contre les habitants. Le paradoxe est frappant : plus on veut loger, plus les logements deviennent chers et conflictuels.

Quel urbanisme pour demain ?

En réponse à ces critiques, une alternative se dessine : celle d’une densification plus douce, mieux répartie, pensée avec les habitants, et intégrée dans la diversité morphologique et sociale des territoires. Une densité qui n’impliquerait pas forcément des hauteurs extrêmes, mais qui travaillerait les usages, les espaces communs, la nature en ville, et les cohabitations.

Cette révision du PLUi aurait pu en être l’occasion. Elle en amorce au demeurant certaines pistes. Mais le déficit de concertation réelle, le ressenti d’une planification descendante, et la récurrence de tensions locales interrogent : Rennes Métropole est-elle en train de perdre la bataille du consensus sur son modèle urbain ?

Les nouvelles règles entreront en vigueur le 18 septembre 2025. Mais le débat, lui, est loin d’être clos. Les projets qui sortiront de terre dans les mois et années à venir seront autant d’épreuves de vérité : à la fois sur la faisabilité du modèle défendu, et sur sa capacité à réconcilier la ville et ses habitants.

La carte, la lettre… et l’esprit

Reste une impression persistante que bien des Rennais partagent : celle d’une ville en chantier permanent où chaque projet d’aménagement semble répondre à l’urgence du moment plus qu’à une vision long terme véritablement concertée.

Né à Rennes, j’ai vu la ville se transformer, parfois s’embellir, parfois s’appauvrir. Les arbres, les massifs, les fleurs qui ornaient autrefois les balcons et les places ont cédé la place à une minéralité austère imposée par la municipalité. Aujourd’hui, en réponse à la crise climatique, cette dernière tente de reverdir ce qu’elle a naguère grisé. Pourtant, cela fait plus de 20 ans que nous sommes beaucoup à demander la fin de la dévégétalisation de la ville au profit de sa revégétalisation. Il aura fallu attendre d’être au pied du mur de la catastrophe climatique avant que l’évidence ne s’impose aux élus…

Ce va-et-vient urbanistique — entre ambitions affichées, planifications immodérées et corrections tardives — malmène en silence notre cadre de vie, nos repères esthétiques et notre bien-être psychique. Si l’on ne saurait nier les avancées sociales et culturelles réalisées par les mandats d’Edmond Hervé et de Nathalie Appéré, force est de constater que la politique urbaine, elle, demeure erratique, car longtemps sourde aux attentes des habitants, aux alertes des associations environnementales, aux propositions d’un urbanisme plus doux, plus habité.

Ce nouveau PLUi, à ce titre, n’échappe pas au paradoxe : censé mieux faire, il laisse beaucoup à redire.

Paradoxe qui traduit sans doute un mal plus profond : la Ville semble aujourd’hui gouvernée davantage par des actuaires technocrates que par des visionnaires humanistes.

Bref, la carte n’est pas le territoire.

Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il étudie les interactions entre conceptions spirituelles univoques du monde et pratiques idéologiques totalitaires. Conscient d’une crise dangereuse de la démocratie, il a créé en 2011 le magazine Unidivers, dont il dirige la rédaction, au profit de la nécessaire refondation d’un en-commun démocratique inclusif, solidaire et heureux.