« Dans la tête des hommes violents », dit sobrement le sous-titre de Nos pères, nos frères, nos amis, dernier livre de Mathieu Palain paru en janvier 2023. Un résumé efficace de ce livre-enquête nécessaire.
Et pour les Rennais et tous les amoureux des Champs libres, sachez que Mathieu Palain participera à la table ronde consacrée à la Violences faites aux femmes qui se déroulera samedi 23 mars à 14h30 dans le cadre de Nos futurs (programme ici).
C’est glacial. Réfrigérant. Consternant. Phase 1 : « un climat de tension s’instaure, l’homme se met en colère (…). » Phase 2 : L’homme « passe à l’acte et violente sa victime, qui est traumatisée, humiliée, désemparée ». Phase 3 : L’homme « lui reproche ce qui vient d’arriver : ‘c’est de ta faute’ (…)». Phase 4 : L’homme « s’en veut, présente ses excuses (…)». C’est l’épisode « lune de miel » avant de revenir à la phase 1 dans un « cycle de la violence conjugale » parfaitement connu, identifié et qui peut se dérouler sur plusieurs semaines ou dans la même journée. Connu et inéluctable comme une fatalité insupportable mais admis par toute une société.
C’est Mathieu Palain qui décrit ce processus, lui qui ne peut écrire que sur le réel, s’appuyer sur la vie de tous les jours. Avec Sale Gosse il avait dépeint les services de protection judiciaire de la jeunesse, domaine dans lequel son père travaillait. Avec le multi primé Ne t’arrête pas de courir, il racontait sa rencontre en prison avec Toumany Coulibaly, champion de France d’athlétisme le jour et truand et braqueur la nuit. Logique donc a priori qu’il désire s’attaquer à un phénomène sociétal ancien, mais heureusement mis en lumière ces derniers mois pour s’y attaquer : les féminicides, ce mot pour désigner la mort d’une femme tuée par son conjoint, son compagnon, acte qui intervient toutes les quarante-huit heures en France.
Pourtant en dix ans de journalisme, Mathieu Palain avoue qu’il était « passé à côté », que son milieu familial était loin de ces préoccupations, et qu’à titre personnel rien ne le rattachait à ces violences. Il faudra un coup de fil d’un contact dans le milieu pénitentiaire pour le conduire à participer comme observateur à des groupes de parole pour les « violents conjugaux » organisés par la Justice à Lyon, puis à Caen. Ils s’appellent Jean-Luc, Ludovic ou Azzedine. L’auteur les appelle les agresseurs « pauvres » car les violences faites aux femmes concernent toutes les catégories sociales mais peu de condamnations sont prononcées dans les milieux favorisés. À lire les propos de ces hommes on ressent un terrible malaise, une violente confusion car un sentiment prédomine : le déni. Tous avouent pourtant leur violence mais la plupart n’y voient aucun mal ou simplement une suite logique à un mauvais comportement de leur conjointe ou compagne : elle s’est montrée aguicheuse envers un autre homme, le repas n’est pas préparé quand il rentre du travail. La femme à leurs yeux est toujours responsable de leur violence et leur réaction n’est qu’une sorte de légitime défense. Certains même se voient comme des victimes puisqu’eux continuent d’aimer leurs compagnes, responsables de ne plus les aimer.
“Ma femme, c’est ma femme c’est pas celle des autres.”
Jalousie possessive, alcool, reproduction d’une maltraitance de l’enfance, les raisons de ce déni sont multiples mais ce refus de voir la violence comme un mal absolu laisse abasourdi, pantois et inquiet. « Parce qu’il y a des femmes qui se font violer, on va interpeller les grands costauds ? »
On sent les intervenant(e)s extérieurs comme les psychologues un peu découragés devant ce mur qui semble infranchissable. Et les raisons d’espérer, rares et fragiles. Cette violence, qui n’atteint pas toujours les situations extrêmes, est ancrée dans nos cultures. Mathieu Palain lui-même, qui ne se sentait pas concerné personnellement par ce problème au début de son enquête se remémore alors un baiser imposé à une amie qui voulait le quitter, comme un sentiment de possession. Même sa mère lui avoue avoir eu une fois une situation délicate lorsqu’elle faisait du baby-sitting. Une manière de comprendre que la violence masculine n’est pas uniquement le fait d’individus ignares, incultes, peu éduqués et ayant systématiquement subi des violences dans leur enfance. Ces hommes existent mais ils ne sont pas les seuls. « 220.000 femmes déclarent chaque année subir des violences conjugales, mais ce chiffre est largement sous-estimé, il peut être multiplié par quatre ou cinq ». Et donc 220 000 hommes dans un renversement de logique, sont violents, potentiellement meurtriers.
Publiés sur France Culture, ces témoignages d’hommes suscitent de nombreuses réactions et de multiples témoignages de femmes qui peuvent à leur tour mettre des mots sur des situations communes partagées. Même les femmes sont parfois victimes de cette culture dominante d’un patriarcat ancestral et ce sont les témoignages des autres qui leur permettent de prendre conscience de leur statut de victime. Placés à côté des propos parfois rigolards des hommes condamnés, ils deviennent implacables.
En terminant le livre de Mathieu Palain, il nous revient cette phrase autobiographique de Laura Poggioli dans son roman Trois sœurs (L’Iconoclaste), racontant un parricide commis suite à la violence extrême d’un père : « Pourtant moi quand je bois, je ne roue personne de coups. Je fais du mal à moi. Rien qu’à moi. » Vertigineux et angoissant.
Nos pères, nos frères, nos amis de Mathieu Palain. Editions Les Arènes. 2023. 252 pages. 20€.
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