Nosferatu de Robert Eggers est en salle depuis le 25 décembre 2024. Cette réadaptation horrifique du film muet culte de Murnau invite le public dans un ballet gothique sanglant où la singularité cinématographique du réalisateur américain rencontre l’esthétique de l’expressionnisme allemand, mais la beauté de la photographie réussit-elle a rendre hommage à ce chef d’oeuvre des années 20 ?
Au commencement, il y a eu Nosferatu le vampire de Friedrich Murnau, chez d’oeuvre de l’expressionnisme allemand réalisé en 1922. Puis Nosferatu, le fantôme de la nuit de Werner Herzog de 1979, la seule réadaptation, par ailleurs très réussie cinématographiquement. Et maintenant, Nosferatu de Roger Eggers. La barre était placée haut, mais le réalisateur américain a relevé le challenge de s’emparer de la fable gothique allemande, devenu un classique du cinéma muet. Pour les personnes qui ne connaissent pas l’histoire : Nosferatu le vampire est une réinterprétation de Dracula réalisée en 1922. Dans le film original, l’histoire prend place en 1838 dans la ville fictive de Wisborg. Ellen Hutter devient l’objet d’obsession du comte Orlok, vampire noble reclu dans un château en Transylvanie, après avoir aperçu une miniature d’elle alors que son mari Thomas était en visite chez lui pour lui vendre un bien.
Avant de plonger dans l’histoire telle qu’on la connaît, la réadaptation de 2024 propose une introduction inédite : le film s’ouvre sur une Ellen priant. Une ombre s’invite dans sa chambre dans une belle référence à l’original et la guide à l’extérieur. Elle est alors victime d’une foudroyante crise d’épilepsie qui la cloue au sol du jardin… Le réalisateur à l’origine de The Northman, The Lighthouse ou The Witch, a semble-t-il voulu pousser les curseurs de l’horreur et de la malaisance à son extrême. A-t-il réussi ?

Alors que le film muet allemand est précurseur dans le travail de l’ombre et la lumière, âmes sensibles s’abstenir pour cette réadaptation moderne qui est loin de faire dans la dentelle et la suggestion. Eggers invite à un bal des vampires (bien qu’il n’y en ait qu’un) trash, où l’hémoglobine jaillit facilement de l’abdomen, le comte Orlok s’étant lassé, a priori, de la classique carotide… Bon, le but n’étant pas de réchauffer un Murnau, pourquoi pas ? Nous sommes loin du vampire noble et élégant, bien qu’avec un faciès singulier, du réalisateur allemand. Le Nosferatu d’Eggers prend forme dans les traits, si l’on peut dire, d’un Bill Skargård grimé à souhait comme cela avait le cas dans Ça et Ça chapitre deux. Avec son apparence de monstre disloqué, Nosferatu n’a du vampire que le nom, le profil tout au plus…
On retrouve des séquences emblématiques du film, comme la scène des fleurs coupées qui introduit la personnalité singulière d’Ellen ou la traversée en bateau du cercueil de Nosferatu, mais le réalisateur fait le choix d’insister sur la relation et la connexion entre Ellen et Nosferatu, en proposant une version plus érotique. Eggers infuse une dimension sexuelle à son film que les scènes de possession amènent à son paroxysme. À n’en pas douter, l’actrice Lili-Rose Depp, du haut de ses 25 ans, livre une performance intense, d’autant plus quand on sait qu’aucun CGI (effets spéciaux numériques) n’a été employé pour les scènes en question. Cependant, bien qu’impressionnante dans les séquences qui la montrent en transe orgasmique, la jeune femme – inspirée du Butô, danse japonaise aussi appelée ‘danse du corps obscure’ pour la gestuelle – se repose parfois trop sur une théâtralité (trop) exagérée au détriment de la finesse de la psyché de ce personnage torturé entre ses pulsions et son amour. Le personnage en perd son équilibre, laissant le spectateur dubitatif.
On retrouve néanmoins du film l’esthétique originel : la photographie léchée installe une atmosphère gothique que la salle obscure sublime. Si le film n’est pas (du tout) effrayant au sens premier du terme, voir plat à certains endroits, le cinéma d’Eggers sort l’horreur et l’épouvante du traitement lisse et prévisible devenu coutumier, et offre une respiration sanglante que l’on avait connu dans The Lighthouse et The Witch. Les connaisseurs apprécieront par ailleurs la référence à un classique du genre, la scène culte du lit de L’Exorciste de William Friedkin (1973)…
En salles aux cinémas Arvor et Pathé de Rennes
