La Bibliothèque nationale de France, sur le site François-Mitterrand à Paris, consacre une grande exposition à Colette (1873-1954), figure majeure de la littérature française du XXe siècle, jusqu’au dimanche 18 janvier 2026.
Intitulée Les Mondes de Colette, l’exposition a été conçue par Émilie Bouvard, historienne de l’art à la Fondation Giacometti, en collaboration avec Julien Dimerman, conservateur à la Bibliographie de la littérature française, et Laurence Le Bras, conservatrice en chef des Manuscrits modernes et contemporains à la BnF. Réunissant plus de 300 pièces – manuscrits, peintures, photographies, extraits de films, entretiens et objets personnels –, elle retrace la trajectoire d’une femme libre et novatrice, qui fit de sa vie une œuvre et de son œuvre un art de vivre.
Entre archives intimes et documents rares, l’exposition explore les multiples « mondes » de Colette : celui du féminin, de la sensualité et de l’émancipation, mais aussi celui de la nature, du désir et de la création. En un jeu de miroirs constant entre la femme et ses doubles littéraires, Les Mondes de Colette invite à une immersion aussi sensible que réflexive dans l’univers d’une autrice qui, un siècle après ses premiers livres, continue d’interroger notre rapport à la liberté, au corps et à la parole.

Les commissaires de l’exposition rappellent combien, chez Colette, la frontière entre la vie et l’écriture est poreuse. La Naissance du jour (1928) ou Sido (1929) témoignent de ce dialogue constant entre l’expérience vécue et la transposition littéraire. On y voit comment Colette, relisant la correspondance de sa mère, transforme la mémoire en matière poétique, et comment, à travers ses textes, elle invente un nouveau modèle féminin : autonome, sensuel, en quête d’harmonie avec la nature et le temps qui passe.
Les manuscrits de Claudine en ménage (1902), Claudine s’en va (1903) et Minne (1904) illustrent ses débuts d’écrivaine, alors qu’elle n’est encore que « Colette Willy ». Il faudra attendre 1921 pour qu’elle signe enfin de son seul nom : Colette. Ce passage du pseudonyme conjugal à l’identité d’auteure indépendante incarne à lui seul le parcours d’une femme conquérant son autonomie par la littérature.
Écrite sur un demi-siècle, son œuvre mêle sensualité, humour et observation aiguë du vivant. De Claudine à Gigi, Colette s’impose comme une voix unique, célébrant la beauté des sensations, la complexité du désir et la force du corps féminin. À travers ses personnages, elle revendique la liberté d’aimer, d’écrire, de vieillir même, hors des conventions sociales et morales de son temps.

Une vie d’indépendance et de création
Née Sidonie-Gabrielle Colette le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye, en Bourgogne, elle grandit dans un foyer aimant, entre un père idéaliste et une mère passionnée de nature, Sidonie Landoy, dite Sido. C’est cette figure maternelle, libre et spirituelle, qui nourrira toute son œuvre. Enfant, Colette développe une curiosité aiguë pour le monde vivant – les plantes, les animaux, les sensations – qui deviendra sa véritable religion. La faillite paternelle, quand elle a 11 ans, la pousse à rêver d’indépendance : elle ne dépendra jamais de personne, sauf peut-être de la vie elle-même.

En 1893, elle épouse le journaliste libertin Henry Gauthier-Villars, dit Willy, qui signe sous son nom les premiers romans de Claudine écrits par Colette. Trompée, exploitée, elle transforme cette blessure en force créatrice : Claudine à l’école (1900) devient un immense succès et un manifeste d’affranchissement féminin. Lorsque le scandale éclate, Colette quitte Willy et s’émancipe, à la scène comme à la plume. Elle devient comédienne, danseuse au Moulin Rouge, chroniqueuse, puis auteure reconnue. Sa vie devient le laboratoire de son écriture.

Sa relation avec Mathilde de Morny, dite Missy, fille du duc de Morny, marque un tournant. Ensemble, elles jouent Rêve d’Égypte au Moulin Rouge, en 1907, dans un numéro audacieux qui choque le tout-Paris. Colette assume publiquement son attirance pour les femmes et bouscule les codes de genre et de morale. Cette liberté de vivre et d’aimer imprègne toute son œuvre, notamment La Vagabonde (1910), roman d’une femme seule qui choisit l’indépendance plutôt que le mariage.

Journaliste au Matin, épouse du baron Henry de Jouvenel puis mère d’une fille, Bel-Gazou, Colette multiplie les vies. Elle écrit sur la guerre, sur les femmes de l’arrière, sur la mode et le théâtre. Dans les années 1920, Chéri (1920) et Le Blé en herbe (1923) l’imposent comme l’une des voix majeures de la modernité littéraire, scrutant le désir, le vieillissement et la passion avec une lucidité rare. « Tout ce qu’on écrit finit par devenir vrai », confiait-elle alors.

Ses amours scandalisent autant qu’elles fascinent : après le jeune Bertrand de Jouvenel, elle rencontre Maurice Goudeket, son dernier mari, son grand apaisement. Dans les années 1930, elle devient académicienne Goncourt, ouvre un institut de beauté et transforme son nom en marque. Toujours, elle réinvente sa vie comme un roman.
Atteinte de polyarthrite, elle s’éteint à 81 ans, le 3 août 1954, entourée de Maurice et de sa fille. Première femme à recevoir des funérailles nationales, Colette est inhumée au Père-Lachaise. L’Église, elle, refusa de célébrer ses obsèques : « conduite inconvenante ». Elle laissa pourtant une œuvre d’une vitalité inépuisable, où chaque phrase semble respirer.

Dans Le Fanal bleu (1949), son ultime livre, elle sculpte sa propre légende et invente, avant l’heure, l’autofiction. Son écriture y demeure solaire, nourrie par l’émerveillement : « J’appartiens à un peuple qui ne vieillit pas. Celui des regards qui s’étonnent. »
Exposition Les Mondes de Colette
Du 23 septembre 2025 au 18 janvier 2026
BnF – Site François-Mitterrand, Galeries 2
Quai François-Mauriac, 75706 Paris Cedex 13
Horaires : du mardi au samedi de 10h à 19h, le dimanche de 13h à 19h. Fermé les lundis et les jours fériés. Fermeture des caisses à 18h.
Tarifs : plein tarif 10 € (13 € en billet couplé avec le musée de la BnF) ; tarif réduit 8 € (10 € en billet couplé). Gratuit pour certains publics sur conditions, à vérifier sur le site de la BnF.
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