Paysannes de Marie-Hélène Lafon et Alexis Vettoretti est un livre qui croise la puissance de l’écriture et de l’image pour rendre hommage aux femmes de la ruralité, celles qui ont façonné, entretenu et transmis les territoires agricoles en France. Loin des clichés pittoresques, cet ouvrage plonge au cœur d’un univers rude, exigeant, souvent méconnu du grand public. Un coup de coeur de la bibliothèque des Champs de libres de Rennes.
Marie-Hélène Lafon, écrivaine reconnue pour sa capacité à évoquer le monde paysan par une langue à la fois sobre et évocatrice, s’associe à Alexis Vettoretti, photographe documentaire, afin d’offrir un témoignage d’une rare intensité. Ensemble, ils tissent un récit où l’intime se mêle à l’universel, où le passé dialogue avec le présent, où le corps de ces femmes, marqué par le labeur, devient une archive vivante de l’histoire agricole française.
Des femmes au centre du monde paysan
Loin des représentations classiques qui placent l’homme au premier plan dans l’imaginaire rural, Paysannes met en lumière ces femmes qui, génération après génération, ont maintenu les exploitations à flot, souvent dans l’ombre.
Longtemps, elles ont été cantonnées à des rôles considérés comme annexes : elles s’occupaient de la basse-cour, du potager, des enfants, mais aussi du soin aux bêtes et du travail des champs. Pourtant, leur contribution a été essentielle. Si aujourd’hui les femmes sont reconnues comme agricultrices à part entière, il a fallu des décennies pour que leur statut soit pleinement admis.
L’ouvrage évoque ces trajectoires faites de discrétion et de sacrifices, de transmission et de résilience. Il raconte l’évolution des rôles : les jeunes générations, plus émancipées, prennent la relève dans un monde agricole en perpétuelle mutation, où la mécanisation, les enjeux environnementaux et les difficultés économiques redessinent en profondeur les conditions du métier.
Le regard de Marie-Hélène Lafon : une écriture de la chair et du silence
Marie-Hélène Lafon, issue d’une famille paysanne du Cantal, connaît intimement la rudesse du travail agricole et l’a souvent évoquée dans ses romans (L’Annonce, Joseph, Histoires). Sa plume, précise et ciselée, donne à entendre les voix silencieuses de ces femmes, captant leurs gestes, leurs regards, leurs pensées à peine formulées.
Dans Paysannes, elle écrit sur l’usure du corps, la répétition des tâches, mais aussi sur la dignité et la fierté du travail bien fait. Son texte est un hommage vibrant à ces femmes de l’ombre qui, par leur engagement quotidien, ont contribué à faire vivre un monde en constante adaptation.
L’œil d’Alexis Vettoretti : la photographie comme témoignage brut
Le photographe Alexis Vettoretti accompagne le texte de Marie-Hélène Lafon par une série de clichés en noir et blanc d’une grande force. Ses images saisissent l’instant et figent la mémoire : des visages burinés par le vent et le soleil, des mains noueuses habituées au labeur, des regards à la fois fiers et mélancoliques.
Son travail restitue avec justesse la réalité du monde paysan, sans artifices ni embellissements superflus. Chaque photographie raconte une histoire, celle d’un métier où le rapport au temps est immuable, où la nature impose son rythme, où la modernité peine parfois à s’imposer face aux traditions séculaires.
Un livre entre mémoire et transmission
Paysannes est bien plus qu’un simple recueil de textes et de photographies. Il s’agit d’un travail de mémoire, d’un témoignage social et culturel qui met en lumière un pan essentiel de l’histoire agricole.
À travers ce livre, on comprend mieux les mutations du monde rural, les défis auxquels les agricultrices ont dû faire face, mais aussi leur capacité d’adaptation. Aujourd’hui encore, la place des femmes dans l’agriculture reste un sujet de lutte et de reconnaissance : si elles sont de plus en plus nombreuses à diriger des exploitations, elles doivent encore composer avec un environnement historiquement masculin.
En s’intéressant à ces parcours, Paysannes invite à repenser notre rapport à la terre et à ceux qui la font vivre. C’est une œuvre qui, au-delà de son caractère documentaire, résonne profondément avec l’actualité et les interrogations sur l’avenir du monde agricole.