Dany Laferrière en noir et blanc ou presque

Dany Laferrière ? Mais oui, vous le connaissez ce grand diable, celui de « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer », « Je suis un écrivain japonais », « L’énigme du retour », « L’art presque perdu de ne rien faire ». Voilà déjà dix ans qu’il est de l’Académie française. Et il y était lors de la réception de Vargas Llosa (je le tiens de source sûre…). Impossible pour lui, le haïtien, de manquer l’accueil sous la Coupole d’un autre Latino-Américain ! Les chemins se croisent parfois de manière étrange. Voilà que ce voyageur est aussi un fidèle d’Etonnants Voyageurs, que ce soit dans son pays de naissance ou à Saint Malo.

Un Petit Traité du racisme en Amérique ? Il en a incontestablement l’expérience de ce racisme, l’ami Dany, et il en parle donc d’expérience. Il sait aussi ce que signifient l’exil, le travail illégal, la pauvreté, la censure, l’immigration et, dans ce tableau très incomplet, ce que veut dire s’interroger sur ses racines et son identité. Le natif de Port-au-Prince s’est fait depuis longtemps écrivain, chroniqueur de journal et de radio d’un peu partout, des Etats-Unis mais surtout du Canada.

Quelle mouche l’a donc piqué d’adopter cette forme très inhabituelle d’écriture piochant dans tous les genres. Anecdotes, portraits, hommages, rencontres, souvenirs, observations, le tout au fil d’une eau qui n’a rien à voir avec le cours de l’histoire au sens du temps et des âges. Tout ceci, et ce n’est pas le moindre, sous forme de poèmes ou de textes plutôt brefs, rarement longs, en prose. Contre le racisme. Racisme contre les noirs bien entendu même s’il se déploie sous d’autres formes ailleurs et à vrai dire partout.

deny laferriere
Denis Laferrière

Dans ce traité, nombreux sont les passages qui nous obligent à nous regarder en face. Sont-ils si loin de nous, ceux qui s’étonnent de voir des noirs dans des quartiers blancs ? Ne changeons-nous pas de trottoirs parfois par peur de l’autre ? Et les fameux contrôles de papiers au faciès qui font trop souvent nos manchettes ? Si nous étions racistes sans en avoir conscience ou sans vraiment nous l’avouer ? L’Amérique donc puisque c’est d’elle qu’il s’agit mais quid aussi de l’Europe, mais encore de l’Asie ?

« Le racisme ordinaire est un fait
qui change l’autre, le Noir
en un monstre
sur qui il faut tirer le premier
ou un cancrelat
qu’il faut écraser de son mépris »
(page 41)

« On discute abondamment
du racisme
dans les salons, dans les cafés
dans les coktails
avec un verre de vin blanc
alors qu’on fait semblant
de ne pas voir le raciste
à trois pas de nous »
(page 42)

« On veut ta peau.
c’est le cas de le dire ».
(page 68)

Ses images, nous les avons vues dans nos livres, sur nos écrans et nous les avons en tête. Il ne faut pas beaucoup de mots pour traduire l’indicible, l’insupportable. En voilà la preuve.

Une chasse à l’homme… et « on entend soudain un cri suivi de vivats, les chiens aboient. La corde. » (page 86)

L’esclavage dans les champs de coton… « Faire claquer le fouet. Ce bruit n’est pas le même dans l’oreille du maître que dans celle de l’esclave » (page 87)

Une photo de Gordon Parks… « … l’affiche d’un rouge spectaculaire : COLORED ENTRANCE ». C’est devenu d’une banalité telle « qu’il n’y a qu’avec des yeux d’enfant qu’on risque de redécouvrir le monde dans son absurdité » (page 98).

Ce qui n’empêche pas Dany Laferrière de sourire parfois. Par exemple, page 241, quand il narre une anecdote sur qui éclairer d’un duo noir et blanc sans risquer de sur- ou de sous-exposition… Il n’est pas dupe pour autant : un noir peut tuer un noir comme les blancs eux aussi peuvent allègrement s’entretuer. D’ailleurs, personne ne s’en prive.

De New York, il nous parle d’Harlem et du Bronx. Nous pourrions discuter ensemble de Newark aussi bien où j’ai donné quelques cours du soir devant des assemblées étudiantes, uniquement noires, du New Jersey Institute of Technology et où portières verrouillées sur le chemin de retour ̶ en compagnie de celui que j’ai toujours appelé mon frère noir, Swamy Laxminarayan, émigré du sud de l’Inde, farouchement attaché à sa nationalité d’origine ̶ les feux rouges ne nous arrêtaient pas.

Ne soyez pas surpris de passer dans ce Traité un court instant avec le Ku Klux Klan pour le pire et quelques pages plus loin avec Jean-Jacques Rousseau pour le meilleur. Nous croisons surtout dans ces pages des visages et des noms connus de tous. Ecrivains, chanteuses, photographes… Harriet Beecher Stowe (Ah, cette case de l’Oncle Tom, elle aura fait couler beaucoup d’encre !), Nina Simone, Bessie Smith et ses Blues, Martin Luther King, Malcolm X, Frantz Fanon, Toni Morrison, Miles Davis… Beaucoup d’autres aussi dont j’ignore tout, Richard Wright, James Baldwin, Peter Beard, William Styron, Maya Angelou, Alex Haley, Van Der Zee, Langston Hughes. Même brèves, il y a là de belles découvertes à faire.

Ses portraits sont généreux, ses rencontres souvent heureuses, ses anciennes amitiés intactes. Vous n’adhérerez pas toujours à ces quelques lignes isolées sur les pages, qui sait. Il leur manque peut-être cette petite musique qui accompagne la poésie. Dany me dira sans doute que ces scènes ordinaires coulant sous sa plume portent un message vécu, qu’il faut les passer et les repasser sans cesse devant nos yeux pour affronter le racisme. Que là est l’important et le reste est bavardage.

Ce Traité n’est sans doute pas le meilleur de Dany Laferrière. Son mérite est pourtant de nous décrire une réalité qui reste bien présente et le sera plus encore demain si nous ne faisons rien. En ce sens, s’il nous parle du passé, Dany Laferrière se tourne vers l’avenir, le nôtre et celui du Monde, et il nous fait du bien.
Jean-Louis Coatrieux

Petit traité du racisme en Amérique, Dany Laferrière, Grasset, 2023, 256 pages, 20,90€

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Jean-Louis Coatrieux
Jean-Louis Coatrieux est spécialiste de l’imagerie numérique médicale, écrivain et essayiste. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment aux éditions La Part Commune et Riveneuve éditions.

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