James Dean par Philippe Besson, Vivre vite, mourir jeune et faire un beau cadavre

James Dean fut une météorite dans le monde du cinéma. Sa gueule d’ange a fracassé les mémoires. Philippe Besson, dans un livre dense Vivre vite, essaie de percer ce regard inoubliable. Essai réussi. Vivre vite, rapide et mortel…

En septembre, il y a Amélie Nothomb. En décembre, c’est Noël. Et en janvier, c’est le livre de Philippe Besson. Depuis maintenant près de 16 ans, à la rentrée littéraire d’hiver, Philippe Besson publie son ouvrage annuel : une pagination relativement réduite, presque calibrée, un éditeur et un format invariable, une couverture imagée souvent d’un détail d’un tableau célèbre. Bref un véritable rendez-vous marqueur du temps qui passe.

S’intéressant notamment depuis « L’absence des hommes », son premier roman, à la sexualité et à la définition de sa normalité, à l’amour, aux mensonges, aux conventions sociales, le romancier avait ensuite situé ses histoires aux États-Unis, décontenançant alors certains de ses lecteurs. L’année dernière avec « La maison atlantique » Philippe Besson avait retrouvé sa veine d’origine dans un huis clos étouffant sur la côte normande placé sous le signe de l’adultère et de « règlements de comptes œdipiens ».

philippe besson james deanCes thèmes récurrents, Philippe Besson les aborde souvent sous des formes littéraires changeantes. Il surprend alors souvent le lecteur. Dans « l’arrière-saison » il imagine la vie et les pensées des personnages du tableau d’Edward Hopper « les oiseaux de nuit ». Avec Les jours fragiles, il retranscrit les mots du journal fictif d’Isabelle, la sœur d’Arthur Rimbaud avant la mort de son frère, méthode qui lui permet d’inventer la présence de la mort dans la famille disloquée.

Cherchant toujours un procédé littéraire nouveau, Philippe Besson utilise cette fois dans Vivre vite le roman choral pour raconter la vie de James Dean. Ainsi est écartée d’entrée la biographie hagiographique traditionnelle ; on devine que l’écrivain, avant tout romancier, va chercher à aller au-delà des faits pour aborder ses thèmes favoris, parmi lesquels l’ambiguïté sexuelle a une place essentielle. Quand on sait l’importance qu’attache l’auteur aux images, on peut penser que la photo de couverture a été un déclencheur. Car tout est là dans cette photo, toute la beauté d’un jeune homme, toute sa violence contenue, toute sa singularité. « Il sera ce qu’il voudra », nous confie sa mère. « Pourvu qu’il y ait de la lumière dans son visage » poursuit-elle. Cette lumière le romancier l’a cherchée et trouvée dans cet être plus exceptionnel qu’un personnage de roman.

Il fallait bien plusieurs voix pour tenter de percer le mystère de ce jeune homme, orphelin de mère à l’âge de neuf ans, abandonné par son père, élevé par ses oncles et tantes. Très tôt, il délaisse le modèle viril des hommes de Fairmount dans l’Indiana au profit du théâtre, de la musique et des activités dévalorisantes dans un monde rural où la force physique constitue un étalon des valeurs. Par les voix de sa mère qui l’encourage à être différent, de son oncle, de son entraîneur de basket ou d’un apprenti comédien, se dessine alors en petites touches subtiles le caractère fantasque d’un Jimmy tout en contradictions : subjugué par New York, mais profondément attaché à la ferme familiale sur la route de Jonesboro, attirant comme un aimant les femmes, mais préférant sans doute les hommes, cherchant à renouer avec son père qui l’a abandonné, mais incapable de lui parler.

La multiplicité des voix permet ainsi à Philippe Besson de ne pas imposer un portrait ou une biographie racontée au jour le jour. Là n’est pas l’essentiel, l’essentiel étant de deviner la pensée de ce superbe jeune homme, totalement myope, au regard perdu au-dessus d’une pâtisserie. On est donc rassuré, rien n’est officiel dans le portrait qui se dégage au fil des pages, rien n’est officiel, mais tout est vrai. Ou possiblement vrai.

Philippe Besson
Philippe Besson

Comme le dit Adeline Brookshire, sa professeur d’art dramatique, « très tôt il n’en fait qu’à sa tête ». À lire Besson, on a en effet du mal à imaginer l’acteur avec des rides et des certitudes. Insomniaque et amateur d’alcool, de drogues, insolent mais fragile, sa sensibilité est trop forte pour lui permettre de se confronter à toutes les difficultés de la vie dans une Amérique puritaine et rigoriste que l’auteur aime radiographier en toile de fond. Il est vivant Jimmy, bien vivant jusque dans cette carcasse de voiture, au carrefour des routes 466 et 41, qui va l’immortaliser comme un symbole d’une époque où la vie doit être croquée, cette vie qui va croquer elle-même avant l’heure, comme par mimétisme, beaucoup de ses fans, de ses femmes, de ses amants. « Vivre vite, mourir jeune et faire un beau cadavre » : le vœu de Jimmy sera exaucé.

On pourra regretter que certaines voix ne nous en disent pas plus : elles écourtent leurs « confessions » par pudeur ou par souci de rester dans le vrai, dans le possible, dans le probable. Mais là est le talent de Philippe Besson toujours sur le fil, en équilibre, laissant le lecteur libre. Un talent d’équilibriste et de légèreté porté par son style, un style fait de phrases courtes, aux mots sagement alignés les uns derrière les autres, sans effet, sans grandiloquence. Limpide et touchant au cœur des choses. Un rythme. On lit Besson comme on respire. Sans effort.

« Vivre vite » est donc un livre à lire à toute allure. À l’allure d’une Porsche Spyder percutant une Ford Tudor. À l’allure du passage de la vie à la mort. À pleine vitesse.

Vivre vite Philippe Besson, Julliard, 252 pages, 18€

Depuis Son frère, publié en 2001 et adapté dans la foulée par le réalisateur Patrice Chéreau, Philippe Besson, auteur, entre autres, d’En l’absence des hommes, L’Arrière-saison, Une bonne raison de se tuer, De là, on voit la mer et La Maison atlantique, est devenu un des auteurs incontournables de sa génération. Un tango en bord de mer, sa première pièce, est jouée à Paris à l’automne 2014 et publiée parallèlement chez Julliard.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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