Assez tôt, j’ai compris que je n’allais pas pouvoir faire grand-chose pour changer le monde. Je me suis alors promis de m’installer quelque temps, seul, dans une cabane. Dans les forêts de Sibérie. J’ai acquis une isba de bois, loin de tout, sur les bords du lac Baïkal. Là, pendant six mois, à cinq jours de marche du premier village, perdu dans une nature démesurée, j’ai tâché d’être heureux.
Je crois y être parvenu.
Deux chiens, un poêle à bois, une fenêtre ouverte sur un lac suffisent à la vie.
Et si la liberté consistait à posséder le temps ?
Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d’espace et de silence – toutes choses dont manqueront les générations futures ?
Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.
Passer six mois dans une cabane en Sibérie, au bord du lac Baïkal, avec pour seuls voisins proches les arbres, les ours et la neige, c’est le choix qu’a fait Sylvain Tesson pour expérimenter le temps. La notion de temps est-elle la même pour un Parisien que pour un ermite ? Peut-on se supporter soi-même lorsque les seules occupations sont couper du bois et pêcher ? Ce sont ces questions et beaucoup d’autres que va se poser Sylvain Tesson, ce globe-trotteur amoureux de la Russie.
Divisé en six parties représentant les six mois passés loin de tout (de février à juillet 2010), ce récit est rédigé à la manière d’un journal de bord : tous les jours sont égrenés. Avec un froid dépassant parfois les -30° C, la cabane devient un refuge, presque une matrice chaude, où l’auteur se surprend à ralentir ses gestes, à « blanchir » et à regarder par sa petite fenêtre avec un intérêt immense. Les montagnes, le lac gelé, la neige, les arbres, les animaux deviennent son environnement, sa vie. Une pointe d’étonnement lorsqu’il se rend compte que sa vie « d’avant » ne lui manque pas ? Incroyable de se passer aussi facilement de la vie que l’on mène depuis toujours. Et quelle joie aussi de remarquer que dans cet univers l’ermite ne nuit à aucun être vivant, sauf l’arbre qu’il débite et les poissons qu’il mange. Une dimension spirituelle émerge de chaque tâche de la vie quotidienne.
Deux idées fortes nourrissent la puissance de cet ouvrage. La première : l’homme seul ne peut pas être tout à fait convaincu de la justesse de sa perception du monde, si aucun compagnon n’est là pour le lui assurer. La nature est-elle comme l’homme la voit ? La seconde, d’une justesse étonnante, s’ancre dans une seule phrase de l’auteur : « l’ermite ne s’oppose pas, il épouse un mode de vie » Une vision philosophique et spirituelle du monde naît au contact de cette vie atypique. Des contemplations aussi étranges : regarder les fines particules de poussière au travers d’un rayon de lumière.
Mais ce récit n’est pas dénué de points négatifs. Quelques réflexions apparaissent superflues. Par exemple, l’auteur remarquant la présence du Da Vinci Code de Dan Brown chez un ami, il en conclut à une « baisse de civilisation ». Snobisme ou arrogance ? Quelle que soit la réponse, nombre de lecteurs pourront s’en trouver froissés. Autre cas, sa soeur accouche lors de son séjour ; il en parle sans aucune tendresse ni un minimum de gentillesse. Pour l’auteur, cet enfant n’est qu’un nouvel habitant dont la Terre ne voudra peut-être pas.
Cela ne grève en rien l’excellente maîtrise de la langue française de Sylvain Tesson, son rythme parfois lent, parfois véloce. Le vocabulaire est riche et procure beaucoup d’émotions. L’exercice est donc réussi et le lecteur se demande comment le retour à la société parisienne s’est effectué. Ce livre fait réfléchir au sens, au sens de la nature et à celui de la société de consommation.
Marylin Millon
Dans les forêts de Sibérie. Sylvain Tesson. Éditions Gallimard, septembre 2011, 18 €.
Écrivain, journaliste et grand voyageur, Sylvain Tesson est né en 1972. Après un tour du monde à vélo, il se passionne pour l’Asie centrale, qu’il parcourt inlassablement depuis 1997. Il s’est fait connaître en 2004 avec un remarquable récit de voyage, L’Axe du loup (Robert Laffont). De lui, les Éditions Gallimard ont déjà publié Une vie à coucher dehors (2009) et, avec Thomas Goisque et Bertrand de Miollis, Haute tension (2009).