Il aura donc fallu attendre près de 12 ans pour que revienne sur la scène de l’Opéra de Rennes l’une des œuvres majeures de Giuseppe Verdi, La Traviata. Cette ultime présentation du mélodrame en trois actes, créé le 6 mars 1853 à Venise, à la Fenice, fut l’occasion d’un véritable maelström au sein du grand public. Donnée le 12 juin 2013 en simultané sur scène et sur la place de la mairie, elle a suscité, de la part des 6 000 personnes massées au pied de l’édifice, ce qui s’apparente à une véritable émeute. Nous y étions ! Et rebelotte le 25 février 2025 !
Pour Mathieu Rietzler, directeur de l’Opéra de Rennes, le pari était loin d’être gagné, tant le souvenir de cette brillante réussite avait marqué les esprits. C’est donc sans surprise que nous nous sommes retrouvés dans une salle bondée ; la totalité des places ayant été vendue en deux jours. Pour cette fois, pas d’Orchestre National de Bretagne, mais l’Orchestre National des Pays de la Loire, avec, à la baguette, Laurent Campellone, accompagné par le chœur d’Angers Nantes Opéra, dirigé, bien sûr, par Xavier Ribes.

Entrons dans le vif du sujet. La proposition de Silvia Paoli, metteuse en scène, est plutôt bien reçue, car elle sert de façon très efficace à la fois le mélodrame et une scénographie énergique. Elle y insère quelques éléments burlesques dont la répétition finit par donner à penser qu’il y a comme une pointe d’ironie envers la gent masculine ; cette impression ne fera que grandir tout au long du déroulé de l’histoire… Certes, l’ambiance actuelle est au féminisme un peu piquant, mais a-t-il vraiment sa place dans un opéra classique ? S’employer à faire passer Verdi pour un soi-disant féministe avant l’heure, mouais… En fait, comme Carmen, Violetta est une femme libre de son époque. Le véritable propos de Verdi dans cette œuvre s’en trouve alors dévoyé.
Violetta est une femme magnifiée par la grandeur de son sacrifice et la délicate beauté de son âme. Madame Paoli ne semble l’envisager que comme une victime. Ce n’est pas exact, et cela nous conduit à réprouver le curieux parti pris qui chasse Alfredo et son père du plateau lors de la scène finale. S’agit-il de stigmatiser les hommes qui abandonnent Violetta au moment le plus tragique ? C’est ce que cette vision donne à penser. Malheureusement, ce n’est pas ce qui est écrit, bien au contraire : un sublime moment de communion devrait unir Alfredo, son père et Violetta, qui se retrouvent lors d’un final en forme d’Assomption dont la vision partisane de Madame Paoli nous a privés.

Cela dit, il ne faut pas se laisser aller à ronchonner : l’impression globale de cette soirée reste des plus positives, et le mérite en revient aux remarquables interprètes qui ont servi la musique avec talent. Toute notre reconnaissance est due à Darija Augustan, qui impose une Violetta proche de la perfection. La puissance de sa voix comme sa présence théâtrale nous entraînent dans des séquences d’intense émotion (comme dans l’éblouissant dialogue entre l’héroïne et le père Giorgio Germont). Le second rôle-titre, celui d’Alfredo, porté avec le même brio par le ténor Francesco Castoro, produit le même effet, et quelques-unes de ses notes aiguës nous laissent complètement pantois. Un bien beau travail. Notre habituel accessit, nous l’accordons à Dionysos Sourbis, dans le rôle du père d’Alfredo. Malgré un vibrato pas toujours indispensable, tout chez lui sent l’expérience, et sa prestation vocale comme l’intensité dramatique qu’il propose lui font largement mériter cette récompense informelle.

Les rôles plus annexes sont tout aussi bien servis : Aurore Hugolin en Flora Bervoix, ou Marie-Bénédicte Souquet dans le rôle d’Annina, la servante. De leur côté, les hommes ne déméritent pas : Carlos Natale propose un très bon Gastone, Gagik Vardanian un irréprochable Baron Douphol, et Jean-Vincent Blot, de sa belle et puissante voix, incarne un docteur Grenvil des plus convaincants.
Le décor nous adresse un clin d’œil facétieux en plaçant un théâtre sur une scène de théâtre. Il est assez plaisant et fonctionne de manière cohérente. Les costumes sont très bien pensés et leur humour sert assez bien le projet de Silvia Paoli. Un petit regret toutefois : le choix du noir pour les robes de toutes les femmes du chœur nous paraît peu en accord avec l’ambiance festive des soirées parisiennes. Les autres, à l’inverse, et particulièrement celles de Violetta, sont parfaites et dans le ton.

N’allez pas penser que nous oublions l’orchestre, qui propose une belle prestation, même s’il se laisse aller parfois à un petit excès de décibels. La taille de notre opéra en est la cause, et c’est un phénomène auquel nous sommes accoutumés.
Le chœur de Xavier Ribes se tire avec efficacité des difficultés de la partition et s’impose tout au long de l’œuvre avec une belle autorité.
Cette nouvelle coproduction entre Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes n’aura donc pas à rougir la comparaison. Toutes les places sont prises, mais n’hésitez pas à appeler les réservations, au cas où des annulations de dernier moment vous ouvriraient les portes de notre chère maison… Vous nous remercierez après !

La Traviata – Giuseppe Verdi
Dates
Le 25 février 2025 à 20:00
Le 27 février 2025 à 20:00
Le 28 février 2025 à 20:00
Le 02 mars 2025 à 16:00
Le 04 mars 2025 à 20:00
Opéra de Rennes
Place de la Mairie
35000 Rennes
Toutes les belles photos de cet article sont le fait de la photographe Delphine Perrin