Quand un prof de math et rockeur passionné, Yan Pradeau, se met à la littérature ça donne quoi ? Ça donne Algèbre, l’histoire romancée d’un savant décalé : Alexandre Grothendieck. Une savoureuse équation complexe que vous adorerez déchiffrer.
Le XXe siècle est le siècle des drames et des avancées scientifiques majeures, quelques guerres autant de génocides, Hiroshima, la Relativité, les antibiotiques, la génétique.
Et sur le plan artistique Dada, le Surréalisme et bien sur le Rock ‘n Roll…

Grothendieck a fait parti d’un groupe de mathématiciens français nommé Nicola(s) Bourbaki. Fondé à la fin des années 30 par des normaliens très propres sur eux, ce groupe travaillait dans un but extrêmement exigeant à refonder les mathématiques ou la mathématique selon des procédés où le sérieux et le loufoque cohabitent de concert. Et Alexandre Grothendieck dans tout ça ? C’est un peu Jim Morrison chez Dada…

Alexandre Grothendieck naît en 1928 à Berlin des amours intermittents mais prolongés d’un couple de « monstres », non de méchanceté mais sans doute d’individualisme forcené au point d’en oublier parfois et (le plus) souvent leur tâche de géniteurs :
Alexandre Schapiro, le père, est né en 1889 aux confins de l’Ukraine et de la Russie dans une communauté de juifs hassidiques. Anarchiste, manchot des suites d’une infection, il a l’un des plus beaux palmarès de révolutionnaire du siècle : de la révolution de 1905 à celle de 17 avec Nestor Makhno, il connaîtra la République de Bavière, celle de Béla Kun et enfin la colonne Durruti en Espagne avec Simone Weil (la philosophe) avant les camps français et un aller simple pour Auschwitz…

«J’ai quelques idées pour vous… »

Le reste est un conte de fée : il recevra la médaille Fields, le Nobel des mathématiciens, qu’il oublie d’aller chercher à Moscou, accepte enfin la nationalité française avant de devenir l’un des leader de l’IHÉS : l’institut des Hautes Études Scientifiques, créé au milieu des années 50 par Léon Motchane (1900-1990). Industriel et mécène, frustré de n’avoir pu que tardivement (54 ans) se consacrer aux mathématiques et qui a l’intelligence de créer à Bures-sur-Yvette un équivalent de l’Institut for Advanced Study de Princeton. Tout y est recherche pure sans obligation d’enseignement ou de publication. Grothendieck sera un des phares de l’IHÉS.
Arrive alors 1968 et bon sang ne saurait mentir, il se rapproche de l’extrême-gauche puis crée en 1970 avec deux autres mathématiciens, Survivre et vivre, qui s’inquiète des méfaits de la pollution et du rôle négatif de la science. Le groupe s’étiole et disparaît en 1975. Entretemps il se remarie, fonde une communauté, repart enseigner à Montpellier, puis à la retraite s’exile à Lasserre dans l’Ariège y menant une vie quasi érémitique, fuyant tout contact jusqu’à sa mort en 2014. Il laisse une oeuvre proprement énorme, un de ses élèves dira « Euclide est mort ». Plusieurs milliers de ses documents sont encore à étudier. Telle est la curieuse vie d’Alexandre Grothendieck, dont le génie aura été, au moins transitoirement et selon l’expression sartrienne « une porte de sortie ». Si la lecture du livre de Yan Pradeau vous a intéressé, il est possible de pousser plus loin avec son autobiographie librement consultable et accessible au non spécialiste : Récoltes et semailles.
Yan Pradeau Algèbre, Allia, 7,50 €

