Depuis sa création, le 22 mai 1813, L’Italienne à Alger de Rossini n’a cessé d’être programmée par les opéras du monde entier. Ceux qui ont eu la chance d’assister à l’une des représentations de Rennes, Cesson-Sévigné, Redon, Vannes, Belle-Ile et autres lieux savent maintenant pourquoi. Rien de plus amusant, de plus rafraîchissant en effet, que cette œuvre en deux actes, écrite en 27 jours par un bouillonnant jeune homme de 21 ans.
Nouvelle production de l’opéra de Rennes, cette Italienne à Alger a été adroitement conçue pour être transposable avec facilité dans des lieux aux géographies très différentes. L’idée est plutôt sage, toutefois l’inspiration est un peu juste pour ce qui concerne le décor. Si les beaux moucharabiehs mobiles répondent parfaitement à l’ambiance attendue, les deux gros blocs latéraux, modulaires, mais sans attrait, alourdissent sérieusement l’ensemble. Même manque de grâce pour les vues portuaires de fond de scène, franchement « cheap ». Dommage pour le travail d’Éric Chevalier, chargé de la scénographie, des décors et des costumes, mais cette petite déception esthétique est très vite oubliée par la mise en scène pleine d’énergie, de drôlerie, et de petits coups d’œil à l’actualité. Manifestement à son aise avec l’idée de ce que doit être un « opéra buffa », Éric Chevalier nous entraîne à un rythme soutenu dans tous les méandres d’une turquerie comme on les appréciait dès le dix-huitième siècle. Il sait habilement mettre en avant le ridicule des personnages, nous invitant à nous moquer de cet exotisme ottoman de pacotille. À l’instar d’un Molière intronisant un mamamouchi grotesque, le metteur en scène nous invite à deux initiations : celle d’un « Caïmacan », puis celle, oh combien divertissante, d’un « Papatachi » (un mange et tais-toi) qui fera exploser de rire une assistance réjouie de découvrir un opéra plus divertissant que pesant. Il est en cela bien soutenu par un groupe de chanteurs homogène et de bon niveau.
Tant pis pour les dames, mais notre coup de chapeau ira en priorité à un Luigi de Donato impérial sur scène dans le rôle de Mustafa. Sa voix comme son jeu d’acteur sont pleins d’une maîtrise qui en impose. Habitué de la scène rennaise, ce n’est pas la première fois qu’il délivre cette impression de maturité, ce qui ne l’empêche pas d’être amusant. La soprano russe, Victoria Yarovaya, lui donne, dans le rôle d’Isabella, une vigoureuse réponse. Elle accepte avec humour d’être mise à toutes les sauces et ses différents costumes de scène la font passer de grande dame à « gourgandine », avec une réjouissante facilité. Elvira, épouse délaissée du bey Mustafa sera interprétée avec exactitude par Sandra Pastrana, elle sera, en plusieurs occasions, accompagnée par Clémence Jeanson, plus vraie que nature dans le rôle de Zulma. Le trio de chanteurs engendre la même satisfaction. Philippe-Nicolas Martin confirme la bonne impression récoltée lors d’une première rencontre à l’opéra de Nantes, dans le rôle du Héraut de Lohengrin. Sa voix est plaisante et sa présence scénique ne l’est pas moins. Le ténor Italien, Daniele Zanfardino, lors du premier acte a ressenti quelques difficultés pour se faire entendre, sa voix, tout à fait étonnante dans les aigus, paraissait avoir du mal à se projeter. Impression qui ne s’est pas confirmée lors du second acte, puisqu’il a pu offrir au public une assez jolie démonstration de ses capacités vocales. Dans le rôle plus secondaire de Ali, Nikolaj Bukavec s’en sort avec tous les honneurs.
Quitte à être taxés de partialité, nous avons été franchement « bluffés » par le remarquable chœur d’hommes issu de l’ensemble Mélismes que dirige Gildas Pungier. Pleins de sève, de drôlerie, ils ont, par la qualité de leur travail, contribué très largement à la bonne impression que nous a laissée ce spectacle. Mais puisque nous parlons de notre chef de chœur ou d’orchestre, suivant les soirs, qu’en est-il de la partie musicale ? À vrai dire nous avons été un peu surpris, dans un premier temps par la modestie de l’effectif présent dans la fosse. En effet une douzaine de musiciens pour un opéra italien apparaît comme un chiffre un peu maigrelet. Mais adroitement, Gildas Pungier s’est appuyé sur des cadres expérimentés et on reconnaît au violon Anatoli Karaev, comme Laurent Dhoosche au Hautbois, Marc Mouginot, notre bassoniste marathonien, le très appliqué Olivier Lacour au violoncelle, et au cor Jean-Michel Péresse domestiquant avec sagesse les notes cuivrées de son étincelant instrument. Tous ne seront pas cités, mais aucun ne sera oublié parce qu’ils ont offert une prestation agréable et même si le piccolo est un peu trop présent lors de l’ouverture, les membres de l’orchestre, sous la baguette de Gildas Pungier, ont accompli un excellent travail.
Vacances obligent, un public assez jeune avait largement répondu à l’invitation de l’opéra de Rennes et comme d’habitude s’étonnait de découvrir qu’un opéra peut être vraiment amusant. Le Don Pasquale de l’an passé, comme l’Elena de Cavalli, en novembre 2014 nous avait déjà enseigné cette leçon, alors plutôt que de répéter à l’envi « je ne l’ai jamais fait, je devrais bien un jour essayer l’opéra » et bien faites le donc, vous ne le regretterez pas !
L’Italiana in Algeri, L’italienne à Alger, Opera buffa en deux actes
Livret d’Angelo Anelli 1813, opéra de Rossini, Spectacle chanté en italien, surtitré en français. Nouvelle orchestration : Gildas Pungier de l’opéra de Rennes
Crédit photo : Laurent Guizard
Prochaines représentations à l’opéra de Rennes :
Mardi 3 janvier, 20 h – Jeudi 5 janvier, 20 h
Dimanche 15 janvier 15 h : Morlaix / théâtre du pays de Morlaix
Direction musicale Gildas Pungier
Mise en scène, scénographie, Costumes, lumières Éric Chevalier
Assistant à la mise en scène Philippe Béranger
Orchestre Symphonique de Bretagne Directeur musical : Grant Llewellyn
Choeur de chambre Mélisme(s) Direction : Gildas Pungier
Isabella Victoria Yarovaya
Mustafa Luigi De Donato
Elvira Sandra Pastrana
Zulma Clémence Jeanson
Lindoro Daniele Zanfardino
Taddeo Philippe-Nicolas Martin
Décors construits dans les ateliers de l’Opéra de Rennes et au Lycée Alphonse Pellé de Dol-de-Bretagne.
Costumes réalisés par l’Atelier de l’Opéra de Rennes.