Le mercredi 7 mai, l’Opéra de Rennes a mis fin à une longue période de disette en proposant à son public La Flûte enchantée de Mozart après 26 années d’absence sur scène. En effet, depuis 1999 et le chef Jean-Claude Malgoire, cette œuvre si adulée du public n’avait plus été donnée dans cette maison. Cette incroyable situation a pris fin, et, privilégiés que nous sommes, nous avons assisté, frémissants de plaisir, à cette première si longuement attendue.
Inutile de vous dire que pour les cinq représentations, loges et baignoires libres avaient été réservées en seulement une matinée. Inéluctable conséquence : quelques audacieux attendaient, le cœur serré, d’éventuels désistements.
Qu’est-ce qui explique l’engouement du public pour cet opéra, créé le 30 septembre 1791 à Vienne, et dont la popularité ne faiblit jamais ? Sans doute, en plus de la sublime musique de notre cher Wolfgang, faut-il ajouter le livret d’Emmanuel Schikaneder, homme de théâtre expérimenté et grand ami de Mozart (ils fréquentent la même loge maçonnique), qui n’hésite pas à casser sa tirelire pour offrir un spectacle délirant et magique lors de la première présentation de l’œuvre. Ou bien encore le double niveau de lecture qui permet à un enfant de suivre un véritable conte de fées, à la manière du Petit Prince, et à un adulte d’effectuer une touchante introspection. Ce qui couronne cette œuvre majeure, c’est l’universalité de son propos : cette invitation à évoluer, à être meilleur, à sortir de l’ombre pour rejoindre la lumière.
Dans le film de Miloš Forman, Amadeus, l’auteur nous décrit le musicien comme un véritable punk de son époque ; c’est un peu l’image que propose la mise en scène survitaminée de Mathieu Bauer. Sa transposition dans un monde qui oscille entre des ambiances foraines et parfois circassiennes ne nuit en rien à l’argument et renforce même cette idée de transgression et d’exigence d’une liberté non négociable. Le plateau tournant occupant une grande partie de la scène offre d’infinies possibilités de changements d’ambiance, et les galeries mobiles et autres escaliers métalliques nous font changer d’espace avec facilité. La seule note légèrement discordante est liée à la permanence de mouvements sur le plateau : des entrées, des sorties, des mises en place, auxquelles, en tant que public, nous n’avons pas à assister, et qui nuisent à la concentration. La mise en scène déjà foisonnante s’en trouve alourdie, et cela trouble la lecture que nous faisons de l’œuvre.
Un opéra, ce sont aussi des voix, et nous avons été globalement satisfaits. Par ordre d’apparition, le conteur, et néanmoins superbe Sarastro, en la personne de Nathanaël Tavernier, met d’emblée la barre très haut. Sans doute joue-t-il un peu du sombre velours d’une voix grave magnifiquement placée, mais il est irréprochable et impressionnant. Au registre des compliments : Élodie Hache, Pauline Sikirdji et Laura Jarrell, les fameuses trois dames d’honneur de la Reine de la nuit, donnent, par leur présence et la vitalité de leur interprétation, une dimension un peu supérieure à ce que l’on voit et entend habituellement. C’est très réjouissant.
Maximilian Mayer, en Tamino, ne s’économise pas. Sa voix, un peu nasale dans les toutes premières notes, prend rapidement son envol et propose un Tamino très impliqué qui séduit l’assistance. Face à lui, Elsa Benoit, en Pamina, n’est pas en reste, et la grande qualité de sa technique vocale ne suffit pas toujours à combler un léger déficit en émotion. Cette aimable réserve, nous ne l’aurons pas pour Amandine Ammirati et Damien Pass, respectivement Papagena et Papageno. Tous deux, parfaitement dans le ton, campent deux personnages simples et truculents qui se recherchent avec frénésie et que l’on ne peut s’empêcher d’aimer. Le salut du public leur rendra un hommage bien mérité.
Benoît Rameau donne à son Monostatos une couleur inhabituelle. Il arrive à le présenter comme un être humain plein de fragilités, et l’on y croit. C’est aussi adroit qu’inhabituel. La Maîtrise de Bretagne, sans doute en manque de garçons, propose, sur l’ensemble des représentations, deux groupes de trois jeunes filles pour servir de guide à Papageno. Elles s’en sortent honorablement, même si les attaques manquent un peu de virilité et l’ensemble de puissance. Ne soyons pas sévères : leur proposition est charmante, et les applaudissements nourris qu’elles reçoivent sont mérités. Espérons, pour une prochaine édition, un peu plus de parité.
Moment musical – et pas des moindres – le rôle de la Reine de la nuit, initialement dévolu à Florie Valiquette, a été interprété par Lila Dufy, venue en remplaçante de dernière minute. Sa technique vocale est très belle : dans le très fameux grand air, elle détache ses notes avec une splendide maestria, y compris le contre-fa, mais l’ensemble manque de puissance. De surcroît, elle est affublée d’un costume un peu ridicule, portant à la ceinture un six-coups digne de Calamity Jane, faisant de la Reine de la nuit une sorte de cow-boy de mauvaise humeur… hum.
Loin de ces détails de peu d’importance, nous avons de réels sujets de satisfaction. L’Orchestre National de Bretagne en est un. Dès les premières notes, plus qu’une main, c’est une véritable poigne que nous ressentons. Nicolas Ellis, notre jeune chef québécois, en quelques mesures, démontre l’exigence de sa direction. Rien n’est laissé au hasard, et il n’est certainement pas venu ici pour battre la mesure. Les musiciens rencontrés après la représentation n’hésitent d’ailleurs pas à exprimer leur satisfaction quant au recrutement effectué l’année passée, et Nicolas Ellis a, en peu de temps, réalisé autour de lui un véritable consensus.
Telle une madeleine de Proust, c’est pour la fin que nous avons gardé le meilleur. Fidèle à son habitude, l’ensemble Mélismes, et son dirigeant Gildas Pungier, ont éclairé de leur talent l’exécution de cette œuvre. Chaque intervention de ce formidable groupe s’est distinguée par une significative montée d’émotion. Le chœur des prêtres dans le temple de la sagesse est un moment comme suspendu dans le temps, et d’une absolue beauté. On aimerait qu’il ne se terminât jamais.
Nous hésitons à écrire « précipitez-vous à l’Opéra », puisque tout est réservé, mais en tout cas, ne ratez pas la retransmission qui aura lieu sur la place de la Mairie, comme chaque année, et qui vous permettra de communier avec la musique de Mozart. Ce serait dommage de rater cela.
La retransmission en plein air de La Flûte enchantée de Mozart dans le cadre de l’opération Opéra sur écran(s) aura lieu le mercredi 18 juin 2025 à 20h. Cette projection gratuite se tiendra Place de la Mairie à Rennes. Cette initiative vise à rendre l’opéra accessible à un large public en diffusant en direct des représentations sur grand écran dans différents lieux. L’événement est gratuit et ouvert à tous, sans réservation préalable. Pour plus d’informations, vous pouvez consulter le site officiel de l’Opéra de Rennes : Opéra de Rennes.
Photos : Laurent Guizard