Rennes. Un film inédit de la Libération donné au Musée de Bretagne

Libération Rennes Mme Rouault

C’est avec émotion que le Musée de Bretagne vient de recevoir un film offert par Madame Rouault. Ces images inédites, conservées 80 ans par sa famille dans la sphère privée, ont été captées par son père durant la Libération de Rennes le 4 août 1944. Rencontre avec une mémoire vivante.

Mme Rouault
Libération Rennes

En septembre 2024, Mme Rouault a fait don au Musée de Bretagne du film que son père tourne sur le vif au lendemain du départ des Allemands de Rennes. Âgée de six ans lors de la Libération, la donatrice garde toujours vivants des souvenirs marquants de cette période. C’est autour d’un échange au Musée de Bretagne, sis aux Champs livres, le 22 septembre 2024, qu’elle se remémore l’épicerie familiale de la rue Pierre Abélard, le pas clinquant des bottes allemandes, les bombardements effroyables, son séjour en Normandie, puis les chars américains déboulant dans les rues et les drapeaux français brandis aux fenêtres. 

Pour rappel, c’est en 1940 que les zones nord et ouest de la France signent un armistice avec l’Allemagne, Rennes se retrouve alors en zone occupée. En 1944, les alliés débarquent sur les côtes normandes et progressent rapidement sur le territoire français. Le 4 août, après une bataille de 3 jours, les américains libèrent Rennes des Allemands. Ce matin-là, un caméraman va filmer sur le vif l’arrivée des GI’s en ville. C’est le père de Mme Rouault, un habitant de Rennes qui capture ces images inédites de soldats américains, clopes et sourires au bec sur leur chars.

Libération Rennes 
Mme Rouault

Le film muet d’une durée de 7 minutes nous laisse imaginer l’esprit dans lesquels se trouvaient les soldats et les habitants. On y voit plusieurs chars passer dans les rues pavées de Rennes, des piétons étonnés, et un cycliste reprenant son équilibre contre l’un des véhicules blindés. Puis les regards joyeux à destinations de la caméra, les saluts fiers et les applaudissements des Rennais et Rennaises aux Libérateurs. Malgré les décombres, les toits et fenêtres détruites, on reconnait certains lieux tels que la rue du Vieux Cours, les halles de la Criée ou, encore, la place de la République que les prisonniers coloniaux libérés traversent parmi les gravats.

Dans une rue, la caméra filme une dame et sa fille qui arrivent à vélo ; c’est la mère de Mme Rouault qui revient d’Amanlis avec sa plus petite fille. Car, pendant la guerre, les enfants étaient emmenés en sécurité à la campagne, loin des bombardements. « Moi, j’étais réfugiée dans un endroit idéal dès l’été 43 : chez une dame en Normandie ! Mon père est venu me chercher à vélo le 14 juillet 44, grâce à un laissez-passer », ajoute Mme Rouault. La deuxième partie du film est tourné à Rennes lors de la première fête de la Libération en mai 1945. Les soldats et scouts défilent dans les rues, applaudis par une foule en liesse.

Libération Rennes
Mme Rouault
La mère et la soeur de Mme Rouault

Ces images inédites, Mme Rouault commente leur rareté : « Il y a eu très peu de films de la Libération et des mois qui suivirent. Il fallait déjà trouver une caméra pendant la guerre. L’usine Kodak basée en Normandie s’était faite bombardée, alors faire développer ses films c’était une autre histoire ! ». C’est son père qui s’était procuré une petite caméra américaine en super 8 durant l’année 1942. Il travaillait dans la maintenance des machines de boulangerie, un secteur qui lui a permis de ne pas être mobilisé car jugé d’utilité publique. « Très bricoleur » comme dit sa fille, « il aimait réparer des objets et était très ouvert aux innovations », d’où son goût pour les caméras ou encore les radios. 

Il y a d’ailleurs une anecdote à ce propos que Mme Rouault s’amuse à raconter. Un jour ; à leur domicile, alors que son père réparait la radio d’un ami, la milice débarque soupçonnant que le poste de radio fut un radio-émetteur (utilisé à l’époque par les groupes de résistance). Pendant que son père se défendait de ces accusations, sa mère, elle, déréglait discrètement leur poste personnel qui captait la radio anglaise, interdite sous l’occupation. « Ma mère a tourné le bouton dans son dos, et plus tard quand ils rallumèrent le poste, ils tombèrent par hasard sur une radio anglaise qu’ils n’avaient jamais capté si bien ! »

Petite, elle avait pour habitude de regarder par sa fenêtre les militaires passer dans la rue, comme on regarde un spectacle. La famille habitait au-dessus de l’épicerie familiale tenue par sa mère, rue Pierre Abélard. C’est dans l’arrière-cuisine qu’elle triait par couleur et collait les tickets de rationnement dans son carnet. Cette boutique était fréquentée par les soldats allemands, « très friands de charcuterie », se souvient-elle. Ils résidaient dans la caserne militaire située non loin, devenue aujourd’hui le centre commercial Colombia. Dans les années 60, tout le quartier a été rasé, « il ne reste plus rien de mon enfance », soupire-t-elle à regret. 

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Mme Rouault
Colombier
Centre commercial Colombia, anciennement le quartier militaire du Colombier.

Pendant l’Occupation, elle allait au cinéma avec ses parents où passaient les actualités, un petit film, un entracte puis un film. Les soldats Allemands se tenaient en haut de la salle, partie de la salle qui était laissée éclairée afin de surveiller les spectateurs. Ces séances consistaient, aussi, à propager l’image d’une Allemagne victorieuse par son avancée et ses victoires militaires partout en Europe et Afrique. « Un jour j’ai crié que toutes ces maisons détruites, c’était pas beau ! Des personnes dans le public ont souri et m’ont applaudi discrètement, mais pour si peu, ma famille aurait pu se faire arrêter, il fallait constamment rester vigilant. »

Son père est venu la chercher à vélo en Normandie à l’été 1944 : “130 km aller, 130 km retour sur le porte-bagage, on savait faire du vélo à l’époque” (rires). Sur cette portion de route de campagne, à la vue d’un avion, son père lui demanda de se jeter à l’abri dans le fossé. Elle se souvient encore sentir ses cheveux se dresser au passage de l’avion qui piquait sur eux. « Je n’ai pas eu peur, tout simplement parce que mon père ne paniquait pas. Enfant, on ressent ce que les parents nous donnent, c’est un vrai sentiment de confiance. »

Son enfance, elle en parle comme d’un souvenir heureux, insouciant, sans traumatisme. Pour elle, les bombardements étaient de l’orage. Et quand les sirènes de la DCA retentissaient, elle savait qu’il fallait descendre dans la cave, point. Certes, une question plus délicate est posée dans le public venue à la rencontre de cette dame délicieuse : est)ce que sa famille était au courant de ce qui se passait dans les camps ? A cette interrogation, Mme Rouault revient sur l’histoire de sa mère qui avait échangé avec des habitués de l’épicerie :« Un jour, ils sont arrivés chercher du lait, et ils portaient l’étoile jaune. Ma mère a alors demandé ce que c’était, ils ont répondu qu’ils étaient obligés de porter ce signe. On ne les a jamais revus, et on a jamais su ce qu’ils étaient devenus. C’est des années plus tard qu’on a appris ce qu’il s’était passé dans les camps, mais même après, on n’en parlait pas. »

A la Libération, les Américains et les Russes passaient chercher des vivres à l’épicerie. La barrière de la langue ne facilitait pas les échanges. Trop petite pour aller voir les GI’s, Mme Rouault ajoute : « A la Libération, les Américains donnaient des chewing-gums, moi je n’en ai jamais eu ! ». 

Libération Rennes
Mme Rouault

Toujours dans une volonté de conserver des témoignages, en sus du film, Mme Rouault offre au Musée de Bretagne le drapeau tricolore confectionné par sa mère au lendemain de la Libération. Interdit pendant la guerre, les drapeaux français ont naturellement resurgi dès la capitulation des Allemands. Celui de sa mère fût fabriqué avec les moyens du bord : un morceau de bleu de travail, une partie de draps blanc et un bout de flanelle rouge qui provenait d’une ceinture de soldat. « Après la guerre, les drapeaux étaient brandis à chaque événement, pour les fêtes ou les anniversaires ».

Le film et le drapeau de ses parents sont à retrouver dans le parcours du Musée de Bretagne aux Champs Libres. « Ces souvenirs sont restés 80 ans dans ma famille, ils sont bien mieux ici que dans mon placard », conclut Mme Rouault.

Vive la France libre !

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