Steve von Till, A life unto itself, subtile magnificence de la mélancolie

Steve von Till est le chanteur et guitariste de Neurosis, groupe de hard-core doom américain aux vingt-cinq ans de carrière. Autant la musique de Neurosis est lourde, brute et sombre, autant celle de ce quatrième album solo de Steve von Till atteint à d’éblouissants scintillements.

 

Steve von TillCertes, A Life unto itself ne fera pas les délices des soirées dansantes estivales. Certes, la mélancolie mordorée de cette country-folk grave et posée n’agrémentera même pas les quelques feux de camp qui s’allument encore le long des côtes françaises. C’est sans doute mieux ainsi. Les chansons de Steve von Till méritent un autre décor. Si elles peuvent évoquer le sable, ce sera celui des infinis désertiques – et quasi ésotériques – d’une Amérique penchée sur ses sauvages et rugueuses origines, si elles sentent l’écorce et l’humus se sera celui de forêts denses et mystérieuses, sauvages encore, solitaires, enchevêtrées telles de lointaines et puissantes mélopées oubliées, loin des sentiers organisés, des GR. Très anciennes évocations et vrais frissons.

Steve von Till
S. von Till (photo par Niela von Till)

Profonde comme jamais la voix de Steve von Till porte un chant radieusement nostalgique, lancinant, évoquant à plus d’une reprise  la belle voix éraillée d’un Mark Lanegan au mieux de sa forme, plus lointainement un cousinage étrange avec un Johnny Cash électrique et ombrageux. Bien moins classiquement américain, moins formellement folk et country que ses précédents efforts solo, ce A Life unto itself permet à Steve von Till d’approfondir sa veine personnelle. Les expériences accumulées après vingt-cinq années à manier les stridences brutes et crénelées des formes les plus extrêmes des musiques occidentales actuelles sont ici distillées, purifiées. Les sept chansons qui composent le disque sont essentiellement des ballades, longues, calmes, d’une profondeur aux résonances parfois sépulcrales. Mais toutes rayonnent aussi d’une force sereine, d’une stabilité affirmée, arrimée. Pourtant, dans les méandres de ces hautes mélodies humainement charpentées, c’est vers un authentique pèlerinage musical que Steve von Till et ses musiciens (l’enchanteur violoniste Eyvind Kang – Secret Chiefs 3, John Zorn, Sun City Girls – le magicien de la guitare pedal steel Jason Kardong -Son Volt, Grand Archives-, Pat Schowe – batteur de l’admirable groupe de Seattle Rose Windows) nous entraînent, dans une ronde autour d’un monde, autour d’une vie. Et pas en périphérie seulement, pas en surface. Table ronde, table rase pour mieux entendre, percevoir, les sublimes horizons originels, les vibrantes aurores primordiales, les énigmatiques nadir de l’homme et du monde… Aucune sensiblerie, aucune afféterie dans ce disque diablement masculin, non. Mais aucun virilisme saillant, malveillant ou déplacé pour autant. Bien au contraire; fils de haute stature d’un occident moderne égaré en lui-même, occident captif de ses reniements, de ses errements et de ses vaines utopies, Steve von Still en artiste sursaturé de spiritualités diverses et, trop souvent, avariées, revient en sage aussi désabusé que, paradoxalement, enraciné. Enraciné dans sa vie même

Steve von Till
S. von Till (photo par Niela von Till)

La guitare acoustique de Steve von Till a des accents aussi profonds que la voix de son maître, l’harmonie est sensiblement parfaite et les arrangements qui font un écrin à ces deux-là sont tout aussi délicatement que surement tressés autour de leurs sonorités lumineusement gutturales et traînantes. Sur Known but not named le mystère de leur profonde et organique communion prend les couleurs d’un très ancien rituel électriquement acclimaté à nos temps quand son prédécesseur Chasing Ghosts fait dériver notre voyage musical terrestre vers des cieux pieusement noirs entre néo-classicisme (à la Satie) et psychédélisme dont la profondeur abyssale n’est pas moindre, à dire le moins tout ceci est fortement baudelairien. 

La cohérence absolument aboutie de l’ensemble tient certainement en l’enregistrement et la production de Randall Dunn (leader des subtils Master Musicians of Bukkake, producteur, entre autre, de Eyvind Kang, Earth, Sunn O))), Oren Ambarchi, Rose Windows ou encore  de Koes Barat le récent et génial projet pop-indonésien délirant de l’excellent Alan Bishop – Sun City Girls…). Ce musicien et ingénieur du son de Seattle collabore depuis quelques années avec “tout” ce qui se fait de mieux en matière de musiques et de musiciens hors-normes, soucieux de beauté, de spiritualité autant que de sonorités profondément foutraques…

Bref, l’album A Life unto itslef, de Steve von Till, entre cendre moirée et incandescence boisée sera l’album parfait de vos fêtes ignées de solstice, de nuit de la Saint-Jean et de bien d’autres soirées mordorées, d’été comme d’hiver… Oui, ses beautés viscérales et rugueuses vont perdurer et résonner pour longtemps.

Steve von Till A Life unto itself, album, 7 titres, 2015, Neurot Recordings

Article précédentAttentat en Egypte, Louxor, les terroristes adorent !
Article suivantEntretien en Fanfare avec Loïc Touzé, grammaire primordiale de la danse
Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici