BD. Trois Chardons de Cécile Becq, une douce histoire de sororité

Avec l’album Trois chardons, publié aux éditions Sarbacane, Cécile Becq dresse le portait de trois soeurs perdues dans la lande et dans leurs vies. Récit profondément sensible et juste de renouveaux nécessaires après des brisures.

Trois chardons. Un titre empli de symboles. Les chardons d’abord. Une fleur emblème, les amateurs de rugby le savent bien, de l’Écosse, cette terre rude et austère où celle qui a la réputation d’être une mauvaise herbe résiste à tout y compris à des conditions météorologiques difficiles. Résistante et piquante comme le sont ces trois chardons appelés Moïra, Margaret et Effie, trois sœurs à la coiffure et au caractère si différents, que les circonstances de la vie réunissent sur l’île de Skye en cette année 1933. Le décès d’un mari, un divorce provoquent cette cohabitation imprévue, un retour au temps de l’enfance.

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Chacune des trois soeurs, on pense bien entendu aux trois soeurs Brontë, a grandi avec son histoire, ses amours et Cécile Becq raconte les retrouvailles entre des femmes changées, marquées par la vie, en attente d’un futur à reconstruire. Elle nous avait déjà séduit avec sa première BD, « Ama, le souffle des femmes » (voir chronique) dans laquelle elle traçait, avec le scénariste Franck Manguin, le portrait de femmes sur une île japonaise assurant par la pêche sous marine la subsistance de la communauté. Seule aux commandes cette fois-ci elle poursuit sa quête de l’intime et des moments de bonheur de la vie quotidienne, même lorsque l’environnement est rude, voire hostile. Les relations féminines sont au cœur du récit s’accompagnant d’une solidarité mise à rude épreuve mais finalement efficace. Comme au Japon, la sororité s’impose.

C’est Moïra qui est la plus cabossée après la mort brutale de son mari qu’elle aimait. Elle va rencontrer dans la lande Sean, un berger des environs qui va peut être lui redonner goût à la vie. Effie est la plus délurée et sensuelle. Elle ose. En apparence. Margaret, l’ainée qui a perdu son enfant, vit seule. Survit plutôt, se refusant une nouvelle vie. Trois caractères, trois destins liés par le sang, mais tellement différents devant les carrefours à prendre qu’offre la vie à des moments clés.

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On pourrait craindre le pire et notamment la guimauve d’un roman à l’eau de rose, mais Cécile Becq a le talent de donner une formidable consistance aux relations entre les trois soeurs. Elles ne se comprennent pas toujours, se disputent mais, finalement, sont intimement liées par leurs histoires et leur passé familial. La dimension justement humaine de la BD nous enveloppe de sa chaleur, de sa douceur, de sa sensibilité loin de toute mièvrerie. Les regards de connivence, les silences, les clins d’oeil disent tellement. Sur le fil du rasoir par sa thématique, l’histoire garde le ton juste d’une époque pudique, rustique et marquée par la solitude.

L’autrice poursuit sa quête d’histoires simples, sans intrigues romanesques ébouriffantes, de vies semblables aux nôtres, où l’amour, la mort, la résilience jouent un rôle essentiel. Logiquement, son dessin à la ligne claire est sans artifice, sans effet de manche et colle parfaitement à l’ordinaire des jours tempétueux de cette rude île écossaise. Des gaufriers de six petites cases silencieuses découpent ces petits moments de bonheur de la vie quotidienne faite de jardinage, de balades, de cuisine, ou de sieste. Cela sent bon la tourbe, la pluie qui balaie les paysages, le froid, l’humidité qui imprègne les murs des maisons comme la laine des chauds pulls à col roulé. À notre tour on a envie de se blottir près de la cheminée, de boire un sherry de 20 ans d’âge et de croire à une vie renaissante. En savourant une BD qui réchauffe le cœur.

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TROIS CHARDONS de Cécile Becq. Éditions Sarbacane. 128 pages. 24€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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