Les prescriptions muséales permettent à des personnes qui suivent un parcours de soin dans une institution de santé de visiter gratuitement des musées et centres d’art contemporain partenaires. Après deux ans d’expérimentation à Rennes, le premier bilan se révèle encourageant.
La musique est utilisée en thérapie après des AVC, l’art thérapie est depuis longtemps utilisé en psychiatrie à l’hôpital. Un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé publié en 2019 liste les études conduites de l’impact de l’art sur la santé et apporte des preuves que notre cerveau réagit face à une oeuvre et sécrète des hormones qui font du bien-être, ce qui favorise les parcours de rémission. « Le neurologue Pierre Lemarquis a analyse notre réaction face à une oeuvre qui représente un visage humain », déclare Morgane Rouet, à la Direction de la Culture de la Ville et la Métropole, qui s’occupe de la participation des habitants à la vie culturelle. « La zone de cerveau stimulée est la même que celle stimulée quand on regarde le visage d’une vraie personne, la zone de l’empathie. » Engagés depuis 4 ans dans le développement d’une démarche globale de coopération entre les secteurs de la santé et de la culture, la Ville de Rennes et Rennes Métropole expérimentent les prescriptions muséales, sur le même modèle que l’expérience réalisée au musée des Beaux-Arts de Montréal.
Les prescriptions muséales, c’est quoi ?
Les prescriptions muséales ne relèvent pas de l’art thérapie, elles sont complémentaires. Elles désignent un document qui permet à des patients, sur recommandation d’un professionnel de santé, de bénéficier d’un accès gratuit aux musées ou centres d’art partenaires. « On savait que les professionnels de santé et de la culture de Rennes étaient attentifs à la question de l’impact de l’art sur la santé des personnes. » Le bénéficiaire a le choix d’y aller avec une personne de son entourage, pour qui l’entrée est aussi gratuite. Elle peut aussi contacter une personne référente qui travaille dans le lieu afin de définir ensemble la visite qu’elle souhaite ou l’approche des œuvres qu’elle désire. « C’est une façon d’agir sur l’environnement psycho-social des personnes en fragilité de santé, car un isolement peut se créer et une peur à fréquenter des lieux publics », ajoute Morgane Rouet. « Il y a la question de la contemplation aussi, du moment présent et du lieu refuge. »
Cette initiative a pour but de proposer un cadre privilégié en leur donnant un outil qui facilite l’accès aux expositions. « On a aussi la possibilité de prescrire pour les enfants. Dans ce cas, la gratuité vaut pour toute la cellule familiale. »
Un partenariat entre professionnels de la culture et de la santé rennais
Neufs structures de santé de Rennes Métropole sont impliquées dont la majorité en santé mentale, mais on trouve aussi des lieux pluridisciplinaires, comme le centre communautaire de santé du Blosne et la Maison de la santé de Villejean. Un code est attribué à chaque établissement de santé partenaire pour que le nom de l’établissement ne figure pas sur la prescription afin d’éviter un effet de stigmatisation et garder un anonymat. L’état civil des personnes n’est pas conservé non plus.
Sept structures culturelles sont actuellement partenaires : le musée des Beaux-Arts de Rennes, Les Champs Libres avec le musée de Bretagne et l’Espace des Sciences, La Criée – centre d’art contemporain, l’Écomusée de la Bintinais et 40mcube. Après son ouverture, le musée des Beaux-Arts de Maurepas intégrera aussi le dispositif.
Un premier bilan encourageant
Deux ans après la mise en oeuvre, un premier bilan révèle que sur les 74 prescriptions ont été émises sur les 463 diffusées, soit un taux d’usage de prescriptions de 26 %. « Quand on regarde les études faites sur les ordonnances pharmaceutiques, on est à 30 % d’utilisation réelle et juste », précise Morgane. Sur le total des prescriptions émises, trois à quatre personnes y sont allées sans les prescriptions, preuve que le dispositif éveille l’envie de franchir le pas d’une visite. « La prescription est le levier, le but n’est pas d’être dans le contrôle. Ce qui compte, c’est qu’elle ait fait le pas de s’y rendre, qu’elle montre ou pas la prescription. »
Les bénéficiaires sont principalement des personnes atteintes de pathologies psychiques (dépression, trouble bipolaire, schizophrénie, bordeline, trouble du spectre autistique, etc.), à partir de 18 ans. « La maladie psychique isole socialement, familialement et les personnes en souffrent. Certains ont tout à réapprendre d’une vie d’adulte », souligne Onenn Le Gloanec, infirmière à l’hôpital de Saint-Jacques de la Lande qui dépend pôle G9 de Guillaume Régnier. « Ils sont agréablement surpris qu’on leur propose cette possibilité. Il y a l’envie, mais ils mettent du temps à faire le pas, il faut parfois les solliciter plusieurs fois », ajoute Cécile Lechat, infirmière au CMP à Saint-Jacques de la Lande qui dépend aussi du pôle G29 de Guillaume Régnier.
De ces prescriptions muséales débouchent d’autres rencontres, d’autres ouvertures. La directrice du centre d’Art La Criée a par exemple demandé à Onnen Le Gloanec s’il était possible qu’une artiste vienne enregistrer des voix à l’hôpital de Saint-Jacques dans le cadre d’une future exposition. De quoi j’aimerais guérir aura lieu en juin 2025.
L’exemple du Musée des Beaux-Arts de Rennes
Au musée des Beaux-Arts de Rennes, c’est Typhaine Rouxel, médiatrice culturelle et référente accessibilité qui prend en charge, si elles le souhaitent, les personnes détentrices d’une prescription muséale. Visites guidées ou simples balades contemplatives, les formes de visite sont variées et adaptées à la personne, comme ce fut le cas avec sa dernière médiation la semaine dernière. Accompagnée d’un proche, la personne a choisi de découvrir l’exposition temporaire Prière de toucher, qui possède la particularité de se visiter les yeux bandés. « Ça a été un moment détente, pas mal de rires aussi parce qu’ils découvraient ensemble », raconte-elle. « Il y a un temps d’échange au début qui est important pour savoir ce qu’ils attendent du moment. »
À l’accueil, le musée dispose un sac dans lequel se trouve, au besoin, un casque antibruit, des lunettes de soleil et des boules antistress. Et le service des publics compte travailler sur un plan sensoriel du musée sur lequel sera indiqué les endroits plus sombres, calmes, les assises, etc. Tous les dispositifs de médiation comme les audio-guides sont aussi disponibles gratuitement.
De ces différentes expériences dans le milieu culturel, il en ressort chez les personnes bénéficiaires une joie d’être considérée comme un individu et plus comme une personne atteinte d’une pathologie. L’ensemble des partenaires a confirmé son souhait de poursuivre la collaboration, avec le souhait d’un dispositif pérenne qui s’étendrait et deviendrait automatique chez les professionnels de santé.