Rennes. Prison de Vezin-le-Coquet : une cocotte-minute sur le point d’exploser

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À la lisière ouest de Rennes, le centre pénitentiaire de Vezin-le-Coquet incarne à lui seul les maux profonds de l’institution carcérale française : surpopulation chroniquemanque de personneldégradation des infrastructures, et déficit de prise en charge psychiatrique. Ces dernières semaines, une série d’incidents graves – dont plusieurs départs de feu en détention – alerte sur le risque imminent d’une révolte collective, dans un contexte de canicule qui exacerbe les tensions et les souffrances.

Un établissement en surcharge constante

Inauguré en 2010, le centre pénitentiaire de Vezin avait été conçu pour accueillir environ 690 détenus. En 2025, ils sont plus de 840 à s’y entasser, soit un taux d’occupation dépassant les 120 %, avec des pics allant jusqu’à 163 % dans certains quartiers. Cette situation impose à de nombreux détenus de dormir sur des matelas au sol, dans des cellules de 9 m² surchauffées, sans ventilation adaptée.

La chaleur estivale, particulièrement rude cette année, transforme les cellules en fournaises, avec des températures intérieures pouvant dépasser les 40 °C. Une situation propice aux crises de nerfs, aux gestes désespérés et aux violences.

Des incidents en cascade

Le dimanche 29 juin 2025, deux détenus ont mis le feu dans la cour de promenade du quartier centre de détention (CD). Trois jours plus tard, un autre détenu, vraisemblablement en détresse psychiatrique, a allumé un incendie dans sa cellule. À chaque fois, les conséquences auraient pu être dramatiques pour les personnels comme pour les autres détenus.

Pourtant, les réponses disciplinaires et judiciaires semblent étonnamment timorées. La commission de discipline du 8 juillet risque tout au plus de prononcer une sanction symbolique. De quoi nourrir chez les agents un sentiment d’abandon, et chez certains détenus, une impression d’impunité – cocktail explosif dans un climat déjà saturé.

Une alerte syndicale

Le syndicat UFAP-Unsa Justice a tiré la sonnette d’alarme dans un communiqué cinglant : il dénonce à la fois le silence de la direction, les rapports minimisant les faits, et l’absence de réponse sécuritaire adaptée. Le syndicat s’indigne aussi du sous-effectif criant : plus de 40 surveillants manquent à l’appel, sans compter les officiers et personnels spécialisés.

Le quartier de semi-liberté, par exemple, est régulièrement encadré par un seul agent, même en présence de détenus alcoolisés ou instables. « Il faut attendre un drame pour que les choses bougent ? » questionne un surveillant sous couvert d’anonymat.

Une urgence psychiatrique ignorée

Comme dans la majorité des prisons françaises, le profil psychiatrique des détenus à Vezin évolue : nombre d’entre eux souffrent de troubles mentaux lourds, souvent non diagnostiqués ou mal pris en charge. Si le Service Médico-Psychologique Régional (SMPR) et l’hôpital Guillaume-Régnier assurent une part du suivi, les moyens sont nettement insuffisants face à l’ampleur des besoins.

La canicule, en particulier, agit comme un déclencheur de crises psychiques : hallucinations, paranoïa, auto-agressions. Faute de personnel et de locaux adaptés, certains détenus instables sont maintenus en détention classique, au risque d’un passage à l’acte incontrôlable.

L’appel à une refonte structurelle

Face à cette accumulation de dysfonctionnements, quatre urgences se dessinent :

  1. La rénovation thermique et structurelle de l’établissement (ventilation, filets anti-projection, modernisation des caméras, espaces de désencombrement psychique).
  2. Le recrutement immédiat de surveillants et d’infirmiers psychiatriques, avec une meilleure répartition des effectifs dans les quartiers les plus tendus.
  3. La réduction de la surpopulation carcérale, par des aménagements de peine, une révision des incarcérations pour délits mineurs et un renforcement du suivi post-carcéral.
  4. Une politique de santé mentale volontariste, avec des unités spécialisées et un encadrement formé.

Ce que la France devrait apprendre des exemples néerlandais et scandinaves

Alors que la France multiplie les plans de construction de places de prison, plusieurs pays européens ont pris le contrepied avec efficacité, humanité et résultats.

Aux Pays-Bas :

Le pays a fermé plus de 25 prisons en dix ans grâce à :

  • La dépénalisation de certains délits mineurs,
  • Le recours massif au bracelet électronique,
  • La création de prisons semi-ouvertes où les détenus peuvent travailler, circuler, cuisiner,
  • Un choix politique de réduction volontaire des incarcérations.

Résultat : un taux d’incarcération parmi les plus faibles d’Europe (60 pour 100 000 hab.) et des établissements… vides.

En Scandinavie :

Les prisons de Norvège ou de Suède, comme Bastøy, privilégient :

  • Des unités ouvertes, sans barbelés,
  • La semi-liberté quotidienne,
  • La reconstruction sociale et professionnelle des détenus,
  • Le traitement des peines comme une parenthèse réparatrice, non un châtiment brutal.

La récidive y est inférieure à 30 %, contre près de 60 % en France à cinq ans.

Une bifurcation à engager maintenant

Ce que montrent ces modèles, c’est que la prison peut être moins punitive et plus utile. Pour cela, il faut :

  • Briser la spirale du tout-carcéral,
  • Renouer avec une culture judiciaire de l’aménagement et de la dignité,
  • Offrir aux personnels les conditions de travail humaines qu’ils méritent.

Le centre pénitentiaire de Rennes-Vezin est aujourd’hui l’un des symboles de ce naufrage silencieux. Mais il pourrait, avec du courage politique, devenir le laboratoire d’un tournant français.

Sinon, la suite est prévisible. Le risque de soulèvement collectif ne relève plus de la fiction. Quand le mal-être devient insupportable, que les repères s’effondrent, que l’État semble sourd, la prison devient un accélérateur de chaos. La colère, étouffée derrière les grilles, n’attend qu’une étincelle. Et les briquets circulent.